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PROVINCE D'ANVERS. 221
des grandes fermes de la contrée de petits paradis humains, où bêtes et gens connaissent
les apaisements d’une existence à l'abri des vicissitudes.
Au sud, vers Lierre, Malines et Boom, règnent les labours, les gras pâturages, les
champs coupés de fossés d'irrigation au ras desquels s'alignent les ormes et les saules ; et
cette fertilité devient encore plus sensible dans les polders, tout le long de PEscaut, où
les terreaux constamment fermentants doivent leur fécondité aux alluvions du fleuve.
Barrant par places la perspective de leurs buttes uniformes et rigides, des chaines de
digues courent à travers le pays, protégeant l'intérieur contre le danger des inondations
et répartissant en même temps, dans une proportion régulière, le trésor des pluies entre
toute la région. Sortes de montagnes artificielles, ces digues ménagent de véritables bassins
et empêchent que tandis qu'un champ se dessèche, un autre se trouve sous l'eau. De là
cette prospérité égale du sol, produisant sur un espace considérable le froment, le seigle
et l'avoine, avec une abondance qui ne tfarit Jamais, sans cesse se relrempe aux humidités
de l'air et des canaux, et fait de toute cette zone un prodigieux jardin d'une floraison
continue. Mème le petit cultivateur, celui dont la maison, capuchonnée d'un toit de chaume,
met au bout du chemin ses murs maçonnés avec de la glaise, connait la certitude de la
récolte. Dense, spongieuse, élastique sous le pied, la terre boit à une infinité de ruisseaux.
s'alimente d'un arrosement perpétuel, s'engraisse des buées flottantes à sa surface ; comme
le corps flamand lui-même, adipeux, lourd, puissant, d'un chyle épais nourrissant des Lissus
serrés, elle renouvelle au flux des eaux tièdes le miracle de ses renaissantes éclosions ;
et le lopin bordé de haies, remué par les sueurs de l'humble travailleur, aussi bien que
les hectares du grand fermier, verdoient, fructifient dans les brouillards et le soleil.
Naturellement, une pareille productivité ne s'obtient que par l'action sans trève des bras;
une sorte d'organisation du travail s'est ajoutée ici à l'effort individuel. Les propriétaires
se constituent en association où «Bond», qui nomme un comité, ayant à sa tête un président
où «dyfgraf» (comte de la digue). Le comité du Bond représente les intérêts de tous les
propriétaires, depuis le simple cultivateur jusqu'au gentilhomme rural. IL s'occupe de
l'entretien des digues, des travaux d'irrigation, du fonctionnement normal des écluses
d'alimentation, des débordements possibles de l'Escaut, car le grand fleuve nourricier, le
père de la contrée, en peut devenir l'ennemi, dans une heure de colère. C'est encore Île
Bond qui transmet au gouvernement les vœux et les réclamations des fermiers, s'entremet
dans les temps de crise, en tout temps est comme préposé à l'état sanitaire de la terre dont
il étudie le diagnostic.
À proprement parler, la misère n'existe pas au polder ; tout le monde y vit dans une
aisance relative, de son fermage ou de son patrimoine; et peu.de spectacles sont plus
réjouissants que celui de ces villages, avec leurs rangées régulières de maisons basses et
trapues, peinturlurées de couleurs vives. Du milieu de l'agglomération s'élève l'église, une
tour quadrangulaire coiffée d'un éteignoir, et quelquefois une petite place s'espace devant,
bordée de boutiques, de cabarets et de pignons de notables. Un peu plus loin, comme
la pointe avancée du bourg, se groupent les métairies, spacieuses la plupart, avec d'énormes
cours flanquées de façades construites en briques rouges : ici la maison d'habitation, large,
confortable, égayée de hautes fenêtres encadrées de volets verts ; là les écuries, les étables,
les hangars, les remises, les granges, une installation à pleine étoffe pour laquelle la pierre
et le bois n’ont pas été marchandés et qui s'anime d'un peuple de bêtes, oies gloussantes,
dindes cacardantes, coqs fanfarants, chiens de garde aboyants, bœufs mugissants, brebis
bélantes, chevaux hennissants, toute une arche de Noé se ruant à travers les litières, les
purots, le brouillard chaud des paillers.
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