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250 LA BELGIQUE.
Généralement, en effet, la superstition affecte ici la forme extérieure des seules créatures
qui habitent constamment la lande : le pâtre cauteleux, muet, vindicatif, parlant aux étoiles,
en commerce constant avec la nature; le chien, insidieux et rusé, sorte de messager de
l'homme dans ses fréquentations diaboliques. Ce sont presque toujours des histoires d'âmes
en peine, taquinant le passant, l'égarant à travers les fondrières, l'illusionnant avec des
mirages trompeurs ; elles errent au loin sous une forme monstrueuse, expiant ainsi les scélé-
ratesses pour lesquelles elles sont punies. On n'a pas de peine à deviner, derrière ces imagina-
tions cruelles, l'impression produite par un phénomène fréquent, en ces espaces couverts de
matières en décomposition qui, les soirs d'été, sous l’action de la chaleur, s’enflamment et
dégagent des phosphorescences. Les tordions ignés, rasant le sol ou montant en spirale et
dans lesquels le paysan suspecte des âmes errantes, ne sont que des follets formés des gaz de
la tourbe et dardés parmi les obseurités bleues de la nuit. Comme le Breton et l'Écossais,
le Campinois assied à son foyer une muse féconde en inventions; c’est elle qui flotte sur les
lèvres des vieux conteurs, assis dans l’âtre et répétant à la veilléce les histoires naives et
terribles dont les romanciers et les poètes flamands ont tiré largement parti. Ajoutez que
l'habitant de ces régions a gardé la foi des ascètes dans les pratiques du culte religieux, qu'il
est catholique à la manière des Vendéens, et que son attachement au pasteur, le seul guide
qu'il reconnaisse, s'exalle jusqu'au fanatisme.
Toutes sortes d'idées de sorcelleries ont cours dans les villages. Certaines gens, victimes
d'un vice de conformation ou notées pour telle autre particularité sur laquelle s'exerce la
malignité publique, sont convaincues de pratiques démoniaques; souvent il suffit qu'elles
soient plus intelligentes que les autres pour devenir l’objet de la défiance universelle. Il n'y a
pas bien longtemps, on me mena voir une vieille femme, vivant, à la limite d'un hameau, du
rapport de son champ, non sans un peu d’aisance; c'était, disait-on, une des nombreuses
sorcières du pays; elle jetait des sorts sur les maisons, ensorcelait les bêtes, pratiquait le
nouement et le scopélisme; dès qu'elle paraissait quelque part, l'eau tarissait dans le puits,
la vache se chèmait, la cheminée s'emplissait de fumées pestilentielles; et tout le monde la
fuyait comme la lèpre. Je vis une créature énervée par le travail de la terre, avec des yeux
doux et affligés, sans méchanceté aucune; mais elle avait le malheur de connaitre les vertus
des simples, ayant recueilli cette science, comme un héritage, de ses aieux, et plus d’une
fois elle l'avait appliquée avec fruit pour soulager des malades. La rumeur s’en était colportée
dans les alentours, et petit à petit on en était arrivé à croire qu'elle entretenait avec Belzébuth
un commerce abominable. Les enfants, embusqués derrière les buissons, lui jetaient des
pierrailles, les hommes lui montraient la pointe de leurs fourches, les femmes se signaient sur
son passage : elle était exécrée et redoutée à la ronde. Son dos voùté, sa maigreur émaciée,
sa peau rude et crevassée comme celle d'un crapaud offraient seuls des analogies avec le
physique du rôle qu'on lui prètait; mais son regard, où trembla une larme quand elle nous
parla des siens qu'elle avait perdus, attestait un cœur sensible et compatissant.
Non loin de la cabane qu'habitait la pauvre vieille, se groupaient les bâtiments d'une ferme
qui avait connu l’aisance autrefois, si l'aisance existe réellement pour les terriens misérables
de cette contrée. Les portes des celliers battaient au vent, des bouchons de paille comblaient
les vides laissés par les carreaux aux fenêtres, et sur leurs ais pourris les toits béaient,
délabrés. Un affreux dénuement régnait à l'intérieur; dans l’âtre où se consumait un petit feu
de tourbe, un berceau, poudreux et sale, était balancé par un garçon de sept à huit ans, les
cheveux emméêlés sur un museau de bête; et d’autres enfants, le menton aux genoux, avec
d'horribles maigreurs, se tenaient accroupis près de la flamme, secoués constamment par un
grand tremblement de fièvre. Une table, un dressoir vide de ses vaisselles, quelques chaises |