Full text |
234 LA BELGIQUE.
tions militaires édifiées en vue de l'exercice du tir au canon; elles bordent une plaine
presque unie, pommelée de bouquets de pins sylvestres et de taillis de chène, et entre-
coupées de jardins légumiers, de haies vives et d'arbres fruitiers.
Toute cette partie de la contrée s'est amendée sous le coup de collier fraternel du soldat
attelés à la même charrue et défrichant d'un commun ahan la lande rebelle.
et du paysan,
Ce que des religieux, les robustes et courageux trappistes de Oostmael, ont fait pour la
zone où s'élève leur abbaye, transformant en champs de fourrages et de blés, en potagers
grassement fertiles le « Zand » infécond, prolongé partout autour d'eux comme une terre morte,
“pl avec une succession ininterrompue d'herbes pâles, de bruyères et de jones, les troupiers
21m
ot | belges l'on fait pour les sables au milieu desquels se dressent leurs installations. Plus au
sn Ji) nord de la province, vous verrez pareillement, entre Hoogstraeten et Merxplas, vastes péni-
tenciers régis comme des colonies, le vice, la misère, l'oisiveté, réglementairement embrigadés,
s'employer au travail de la terre, collaborer à l'œuvre générale du défrichement, graduellement
amener le bien-être dans le pays circonvoisin. Il n’est pas jusqu'à cette autre colonie, plus
sinistre encore, bien qu'elle serve à un genre d'internement différent, Gheel, qui n'apporte
des bras à la tâche commune. Là vit un peuple sombre, dans les hébétudes et les halluci-
nations de la folie; chaque paysan héberge chez lui un ou deux fous, selon sa maison ;
et tous mènent ensemble une vie rustique, où le travail souvent met un frein à la fureur
des démences. Ainsi le religieux, le soldat, le dangereux vagabond des villes et le pauvre
être privé de raison lui-même ont, petit à petit, fertilisé le sol rebutant et dur.
Ce serait, d'ailleurs, donner une idée erronée de la contrée que de s'appesantir exclusi-
vement sur la misère du petit cultivateur. Comme le Polder, la Campine a ses grandes
exploitations, ses fermes entourées de champs cultivés sur de vastes espaces, ses troupeaux
de bœufs et de moutons paissant dans l'herbage; mais l'aisance ici est achetée au prix
d'un labeur plus ardu et, même chez les riches fermiers, ne stimule pas la belle ordonnance
de la maison, le train généreux de la vie, l'abondance des repas, le goût de la parure
et des joyaux. Les femmes, plantureuses et grasses dans la région fertile, d’une chair alimentée
par des sèves riches, comme de la belle boucherie saine, sont, dans les pays du sable,
maigres, sèches, ratatinées, la peau terreuse, sans grâce et sans coquetterie. Encore bien
plus l'homme, cassé par les labours, mal nourri, tenu en défiance perpétuelle par la fortune
incertaine, s'écarte de l'ample structure du Flamand pléthorique. Un fond de sauvagerie farouche
perce sous les visages, comme une rancune contre la glèbe hostile, cause de la rudesse de la
vie. Constamment une âcre odeur de tourbe, des mofettes marécageuses et fermentées, empestent
l'air ; les bêtes elles-mêmes, languissantes, avec des mélancolies dans l'œil, arc-boutent des
carcasses évidées sur de minces jarrets. On est loin des vaches découpant, dans les hautes
herbes des pâturages de Santhoven, de Hoevenen et de Santvliet, leurs grandes croupes
cabossées, des énormes pores gorgés d'aliments et pareils à des boules de suif, des pesants
chevaux musclés dont la robe, lisse et bien tendue, se lustre de luisants de satin. Le pacage
n'offre, dans ces latitudes broussailleuses, que de la maigre terre pelée, et l'insuffisance de
celte nourriture fait paraître l'animal souffreteux et rabougri. Au lieu de paille, une litière de
feuilles sèches et d'aiguilles de sapins garnit les étables, où se meuvent, dans les bouses et le
suint, des ossatures efflanquées. La vaillance, toutefois, demeure le caractère de la bête, comme
de l'homme, en cette vie qui semble précaire. Qui ne s’est attardé à regarder un petit cheval,
écharné et nerveux, trainer, dans le sable où les roues S’enfonçaient, une charrette grinçante sous
son faix, et ailleurs une paire d'aumailles, le flanc caverneux, tirer le soc à travers les sillons
pierreux, d'un pas régulier ? Tenant le coutre ou marchant le long des ridelles, le conducteur
Sifflait dans ses dents un air triste et doux, que rythmait la marche lente de lattelage. |