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LA BELGIQUE.
rebondissement des couples; de bal en bal s'avive et traine la grande kermesse inassouvie.
Dominant le tumulte des sauteries et des parades, le buste du grand Jacques Jordaens s'érige,
avec son sourire de bronze, sa large honnêteté épanouie, on ne sait quelle bonhomie amusée
de se retrouver dans cette humanité gourmande et joviale, que ses pinceaux aimaient à
représenter. Traqué pour cause d'apostasie, l'illustre Flamand avait quitté le sol natal ct, loin
des siens, était allé mourir dans l'humble bourgade où, il y a quelque dix ans, l'admiration
de ses concitoyens lui éleva ce monument. Douloureux retour des choses d'ici-bas, cette
gloire, isolée dans l'entrain d'une ducasse, a la mélancolie des fins de vie dispersées sur
lesquelles s’acharne le sort.
La foire de Putte dure trois jours, pendant lesquels la chaussée et les cabarets ne
désemplissent pas. Une fois l'an, le Polder se débonde dans ce festoiement, puis l'esprit,
content, se reprend au train de l'existence régulière.
XI
La Campine. — Aspect général de la contrée. — Le paysan campinois. — Les superstitions de la contrée. — Le berger de
feu et le chien de feu. — La sorcière de Braesschaet, — La ferme des Maigres. — Le polygone de Braesschaet. —
L'œuvre du défrichement généralisée dans toute la contrée. — Les fermes et les étables. — Courses de bœufs.
— Calmpthout, — Les dunes de sable. — Hoogstracten, Herenthals, Moll, Turnhout. — L'abbaye de la Trappe.
Tout autre que le Polder est la Campine, la région sablonneuse qui commence à
deux lieues au-dessus d'Anvers, couvre le nord-est de la province et de là s'étend sur une
grande partie du Limbourg. lei le champ cultivé se fait rare, par endroits seulement met
une enclave de touffes rabougries et päles dans le crépèlement roux des herbes sèches.
Au lieu des blés et des foins, déroulant leurs masses glauques que juillet ensuite allume de
flambes rouges, la lande inculte et grise moutonnant de proche en proche ; au lieu des digues
ct des talus verdoyants, où des vaches grasses paissent à pleins fanons, des cônes brisés de
dunes et de monticules à l'infini. Cà et là des bois de sapins plaquent sur la terre grise ou
jaune des taches noires, funèbres, bordées à leur lisière de mares rouilleuses où s'échevèlent
les ajones ; puis l'étendue recommence, tantôt plate et tantôt bosselée, comme le désert du
riche pays flamand. Quelquefois un famélique troupeau de moutons s'aperçoit, broutant les
pousses au ras du sol, sous la garde du berger, morne silhouette immobile, et du « Spits », le
chien fidèle, le compagnon des jours torrides et des nuits glacées, qui, le poil noir ct hérissé,
les yeux en feu, les oreilles droites, ressemble à l'esprit malin de cette nature farouche.
L'homme, enveloppé dans sa limousine de bure, vous envoie un « goeden dag! » triste et
grave; le chien, défiant, s'approche, le muscau tendu ; et lentement le troupeau passe en
bêlant, décroit dans la profondeur, ne laissant après lui qu'un nuage de poussière qui insensi-
blement se dissipe dans la clarté du jour.
Le caractère du paysan campinois se ressent de cette désolation de la glèbe; tandis
que le fermier du Polder, hilare et goguelu, est porté à l'expansion, à la gaité, à la
discussion frondeuse en raison de son indépendance ct de son bien-être, le Campinoiïs,
pauvre, vivant du produit des balais, des nattes, des fruits de conifères (masteñtoppen)
quil porte à la ville, est craintif, superstitieux, hostile aux idées de progrès qui soufflent
des grands centres.
Habitué à se replier sur lui-même, dans une concentration permanente, loin de sa hutte |