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graphie et une philologie spéciales. Maintenant que les mar-
ques empreintes sur les matériaux ont fourni leur témoignage,
il continue son œuvre technique en recherchant dans les sub-
structions les vestiges des fondations anciennes et la condition
statique des constructions actuelles. Ensuite, il achèvera son
œuvre en poursuivant ses investigations jusqu’au sommet de
la coupole. Plus tard, et seulement lorsqu’il en aura bien
reconnu et pénétré l’organisme intime, il revêtira l’édifice de
ses ornements.
La méthode est rationnelle, et, à ce proposée veux appeler
l'attention sur cette disposition d’esprit du jeune architecte.
Ce n’est pas l’opinion généralement reçue que les élèves de
l’Ecole des Beaux-Arts et particulièrement ceux qui obtien-
nent le prix de Rome aient une grande prédilection pour
l’étude de la construction. A entendre les détracteurs de l’in-
stitution, ce qu’on peut attendre de nos pensionnaires, ce
sont surtout de belles aquarelles. Mais ils ne se bornent pas
à cela et les personnes prévenues contre eux ne suivent pas
d’assez près ce qui se fait rue Bonaparte. Depuis vingt-cinq
ans, l’enseignement de la construction y a pris une place
considérable : il embrasse au moins deux années. Après que
les voies lui eurent été préparées par le vénérable M. Jay et
qu’il eut été développé par le baron Elphège Baude, il a été
porté très baut par un artiste de premier ordre, Emmanuel
Brune. Elève distingué de l’Ecole polytechnique et, bientôt
après qu’il en fut sorti, grand prix d’architecture, Brune,
quand il fut appelé à professer à l’Ecole des Beaux-Arts,
déploya dans son cours la double intelligence et la double
autorité de l’ingénieur et de l’architecte. Sa mort récente et
prématurée a laissé un grand vide. Mais son successeur con-
serve pieusement l’esprit de ses leçons, esprit de principes
rigoureux et de mesure, doctrine qui ne fait pas plus fléchir
la science quelle n’entrave le sentiment. Mais ce que Brune
a laissé après lui, c’est une génération d’architectes formés
d’après ces idées, également préoccupés de l’art de bâtir et de
l’art de décorer et ne les séparant jamais, parce qu’ils sont
inséparables dans les chefs-d’œuvre. Ainsi Brune a été un
maître véritable; il a formé des disciples convaincus, et,
parmi eux, les pensionnaires de l’Académie restent au nom-
bre des plus fervents.
Une évolution très importante s’est donc opérée dans notre
école. On n’y descend pas, et comme par grâce, de l’esthé-
tique aux considérations positives de la construction ; on s’y
élève de la construction attentivement consultée à l’histoire
et à l’esthétique. Quand on calculera les arcs récemment
trouvés au Panthéon, on verra probablement que, sans eux,
les belles proportions de la coupole n’eussent pas été obte-
nues. Tant il est vrai que la disposition des matériaux, sui-
vant certaines lois, est la raison tangible de ce. qu’il y a de
plus immatériel dans l’impression que nous ressentons
devant un édifice.
Que les recherches continuent donc ! Qu’elles nous appor-
tent de nouveaux enseignements et encore quelques-unes de
ces briques qui semblent déposer sur la foi d’un serment!
Qu elles nous donnent des dates irrécusables et des points de
repère évidents ! Que la lumière soit plus complète! Nous la
recevrons avec respect, mais peut-être avec quelque tristesse.
II y a parfois dans les découvertes une sorte de désillusion.
Il semble quelles nous dépouillent d’une partie de nous-
mêmes en nous enlevant des sujets d’initiative et en rabattant
nos imaginations. Le vrai, d’ordinaire, est si simple! Et
puis, ce n’est pas sans regret qu’on renonce à ces idoles,
à ces idoles dont parle Bacon, qui sont un héritage de
ceux qui nous ont précédés et qui tiennent à ce qu’il y a
de plus profond en nous. On ne s’en désintéresse pas. Cepen-
dant, elles tombent ; mais elles laissent comme des décombres
après elles. La voie en est obstruée et les jeunes vérités ont
peine à cheminer à travers ces débris. Elles sont à nous,
pourtant, et nous hésitons; on dirait que leur possession
nous décourage. Est-ce donc fini? Non, certes! Nous aurons
toujours à pénétrer des mystères. Et d’ailleurs, la vérité ne
nous suffit pas toujours ; nous voulons aller au delà et, en
présence de certaines constatations formelles, l’esprit con-
serve toujours ses droits à l'hypothèse.
Quant au Panthéon, ce ne sera pas la première fois que
des faits de la nature de ceux que l’on y a constatés se seront
produits à Rome. L’histoire s’y fait et s’y défait sous nos
yeux. Il y a des imitations de la vérité, imitations logiques
et sincères qui nous captivent. Mais quand la réalité qui leur
manque apparaît, elles s’évanouissent en un instant. Parmi
les découvertes de la seconde moitié de notre siècle, aucune
ne nous a plus frappé que celles du Forum. Jusqu’au moment
ou il a été mis à nu, on en jugeait par quelques colonnes qui
surgissaient du sol, par quelques traces de la Voie Sacrée,
par des arcs de triomphe, témoignages imposants, mais sans
lien. Sur cela, l’imagination se donnait carrière. Les conjec-
tures se multipliaient, on faisait des restaurations idéales, on
échangeait des polémiques. Puis, les fouilles sont venues,
et on a vu un ensemble du Forum qu’on n’avait pas soup-
çonne. C'était bien ainsi qu’il avait été à une époque donnée,
e cela n'etait Pas sans grandeur. Mais je crois qu’à partir de
ces vas es déblais, il s’est fait plus de silence autour de lui.
On regarde cette paléontologie étalée sous les yeux, plus froi-
dement qu'on ne faisait la ruine incertaine. On ne s’y aven-
ture plus sans un guide, et il se passera longtemps avant
qu on y vienne rêver.
Mais c est affaire de sentiment et non pas déraison; car
quel plus grand bonheui pour nous que de savoir et de com-
prendre ! Si quelques vérités ne s’acceptent pas sans un instant
de mélancolie, cependant nous ne sommes pas plus ingrats
envers ceux qui les ont trouvées que nous ne nous montrons
injustes pour les savants travailleurs qui s’en sont cependant
écartés. Et pour revenir à mon sujet et pour conclure, je
m’arrête à un passage de l’ouvrage de M. Frédéric Adler,
dont j’ai parlé, passage qui contient une excellente théorie et
qui restera prophétique. L’éminent architecte a été empêché
de visiter le Panthéon autant qu’il l’eût désiré. Il s’en plaint
et il dit : « Aucun édifice ne peut résister à l’analyse métho-
dique de son organisme. Chaque monument raconte lui-
même son histoire au savant praticien qui est compétent et
qui cherche et fouille. C’est souvent un chagrin pour le
monument; mais c’est une joie pour l’artiste. »
C’est bien là ce qui est arrivé au Panthéon. Je ne sais si le
monument et ses admirateurs en seront attristés ; mais en
attendant d’avoir dit son dernier mot, M. Chedanne a lieu
d’être satisfait.
Il y a bien plus encore. Ces découvertes, qui occupent le
monde savant, rendent un bon témoignage des études des
pensionnaires de l’Académie de France. Elles font à l’insti-
tution un honneur qui rejaillit sur notre propre pays. M. le
ministre des beaux-arts l’a reconnu : il vient de donner à
M. Chedanne une mission qui lui permettra d’achever sa
restauration à Rome.
Eugène Guillaume.
(La Revue des Deux Mondes.)
Nous devrons donc attendre la fin du travail de M. Che-
danne, pour connaître la vérité sur l’histoire de la construc-
tion du Panthéon, d’après les recherches si heureusement
commencées par lui et retracées d’une manière si attachante
par M. Guillaume, dans l’article ci-dessus.
Nous devons féliciter ce dernier, ainsi que la Revue des
Deux-Mondes, de nous avoir donné les prémices du travail
ardu, auquel se livre M. Chedanne. Il en résultera que le
monde artiste, les architectes entre tous, suivra avec le plus
grand intérêt, les recherches du jeune pensionnaire français
à Rome. Il sera vraiment curieux de constater, qui, de Pira-
nesi, de Viollet-le-Duc ou de M. Chedanne, aura raison au
sujet du mode de construction de la coupole, et la question
de savoir si la rotonde est postérieure ou antérieure au
péristyle, pourra du même coup être, sinon tranchée, au
moins élucidée en partie.
Nous ne croyons cependant pas que le fait de la décou-
verte des substructions mises au jour sous le pavement du
Panthéon, aidera à prouver la postériorité de la rotonde sur
le péristyle; celui, de la corrélation de la décoration avec le
corps même de la rotonde, nous semble plus spécieux, et, à
ce sujet, la fin de l’article de M. Guillaume, sur la nécessité
en architecture, de faire delà décoration, non le complément
variable de la construction, mais la résultante de celle-ci, est
à approuver hautement ; d’après lui, cette manière de voir est
depuis quelque temps appliquée à l’Ecole des Beaux-Arts de
Paris ; nous espérons qu’il en sera un jour de même dans nos
Académies, et à ce titre, parmi bien d’autres, l’article de
M. Guillaume pourra produire les plus heureux résultats.
SOCIÉTÉ CENTRALE D’ARCHITECTURE
DE BELGIQUE
Rapport annuel
présenté en séance de décembre 1892
(Suitej. — Voir col 6
Vous vous êtes également occupés de la création d’un
musée d’architecture.
Combien il serait intéressant et instructif de grouper
en bon ordre ces dessins souvent merveilleux qui moisissent
dans des cartons ou tombent aux mains d’impies dans quel-
que vente publique où ils n’atteignent pas la valeur du châs-
sis.
Quel enseignement les jeunes architectes ne trouveraient-ils
pas à pouvoir admirer les conceptions si souvent non réalisées
de leurs devanciers et quel parti ne pourraient-ils pas tirer
de l’enseignement qu’elles renferment au sujet de la composi-
tion ou du talent dépensé au rendu.
Vous avez décidé que votre comité se chargerait de faire
les démarches nécessaires, et sous peu, lorsque la commission
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L’ÉMULATION
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