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Février 1893.
N° 2.
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L’ÉMULATION.
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LE PANTHÉON D’AGRIPPA
A PROPOS DE DÉCOUVERTES RÉCENTES
(Suite). — Voir col. I
ais un point sur lequel on n'a rai-
sonné que plus tard, c’est sur la
construction du Panthéon et parti-
culièrement sur les conditions de
stabilité de la coupole. Et c’est
cependant un sujet important. En
effet, cette voûte est immense, et
elle est encore la plus vaste qui
existe. Elle n’a pas moins de 43m,42
d’ouverture à sa base, sur 43m,i2 de
hauteur. Comment une pareille
masse de matériaux est-elle tenue
en équilibre depuis tant de siècles ? Il y avait là une question
de construction qui méritait d’être approfondie, mais qui
restait incertaine.
Au Panthéon, on se trouve donc en présence d’un triple
ordre de difficultés. L’édifice est-il le fait d’une conception
unique ou est-il le résultat d’une juxtaposition, impliquant
une date différente pour chacune des parties qui le com-
posent ? Quel était l’édifice primitif, et comment le reconsti-
tuer en complétant ce qui existe au moyen des textes ? Enfin
par quels artifices si excellents la rotonde et la coupole ont-
elles été bâties, qu’elles sont restées debout jusqu’ici ?
Sur les premières questions on n’a pu se mettre d’accord.
Beaucoup d’artistes et d’antiquaires, parmi lesquels Palladio,
Charles Éontana, Piranesi, Hirt, Fea, Nibby et Canina, ont
discuté sur l’adjonction possible du portique à la rotonde.
Tandis que, parmi eux, les uns pensaient que la rotonde
était plus ancienne que le vestibule, et que quelques-uns res-
taient dans le doute, d’autres concluaient à l’unité du monu-
ment et l’attribuaient à Agrippa. Toutes les raisons que l’on
peut apporter à l’appui de cette conclusion ont été présentées
par Fea dans un livre publié d’abord en 1807, puis en 1820
sous ce titre décisif : l’Integrità del Panteon rivendicata a Marco
Agrippa.
Non moins nombreux sont ceux qui ont pris à cœur de res-
taurer le Panthéon conformément au témoignage de Pline.
On avait bien pu concilier les textes, mais il était plus difficile
de mettre les textes d’accord avec les faits. Si je ne craignais
d’abuser, je citerais les architectes qui, comme Serlio, se sont
joints aux savants pour s’occuper des chapiteaux de bronze ;
et ceux aussi qui ont travaillé sur les cariatides. Il suffira de
dire sommairement quelles sont, sur l’un et l’autre sujet, les
solutions qui ont été proposées. On ne sait pas bien ce
qu’était le bronze syracusain, quelles étaient sa couleur et ses
ressources ; mais on a supposé que les chapiteaux de ce métal
appartenaient aux tabernacles, et qu’après les incendies ils
avaient été remplacés par des chapiteaux de marbre. Quant
aux cariatides, il y en a parmi nos auteurs qui pensent
qu’elles ont été enlevées par Boniface IV, mais alors on ne
voit pas d’où elles auraient pu être extraites. Quelques autres
s’en sont servis pour remplacer les colonnes des tabernacles,
mettant ainsi la statue de l’autel entre deux figures de même
grandeur, ce qui serait une faute. Certains d’entre eux les
établissaient sous le vestibule, soit sur les colonnes de la nef
du milieu, soit dans les entre-colonnements. Enfin, il en est
qui les ont rangées sur l’attique, leur faisant ainsi porter l’en-
tablement supérieur d’où part la coupole. Ce fut l’opinion de
Winckelmann et c’est celle de M. Frédéric Adler. Suivant ce
savant architecte, au-dessus des pieds-droits et des enfonce-
ments formant chapelles, et interrompu seulement par la
niche du maître-autel et par la porte, aurait régné un enta-
blement sans ressauts. Les cariatides y eussent été placées à
1'aplomb des colonnes; et cette opinion est celle qui a généra-
lement prévalu.
La construction était ce dont on s’était le moins occupé,
soit qu on crût la mieux connaître que le reste, soit qu’elle
intéressât moins, ici, que l’esthétique et l’histoire. J’ai dit que
I'édifice repose sur huit piliers; et l’on pensait que, confor-
mement a ce que l’on observe dans plusieurs monuments
îomams, ces massifs de soutien étaient formés sur leurs deux
laces de laiges murs de brique, et que l’intervalle qui séparait
ceux-ci était 1 empli d un blocage de petits matériaux. On con-
naissait bien les aies qui vont d’un pied-droit à l’autre; ces
ares ont toute 1'épaisseur du tambour et se voient au dehors.
Quant à la coupole, on imaginait qu’elle était soutenue par
une suite de nervures allant de sa base à son sommet, et se
reliant à différ entes hauteurs par des couronnes de maçonne-
rie concentriques. Mais aussi on avait en grande considéra-
tion le dessin de Piranesi qui figure, dans la voûte, des arcs
curvilignes placés à une certaine hauteur, mais cependant
sans points d’appui. Il y avait encore d’autres solutions qui,
bien qu’elles fussent hypothétiques, ont été souvent répétées.
D’ailleurs, on croyait la voûte construite en matériaux légers,
par conséquent moins forte qu'elle n’est et incapable de por-
ter des ornements de métal. On savait bien qu’entre la voûte
intérieure et sa paroi extérieure il existait un vide et que des
arcs-boutants maintenaient l’écartement des deux enveloppes;
mais on ne savait point par quel artifice de construction la
voûte intérieure se déchargeait sur ces contreforts.
Pour tout ce qui touche à la partie archéologique du sujet,
personne ne connaît mieux et n’a plus parfaitement exposé
l’état présent de la science que M. le commandeur Lanciani,
le nouveau correspondant de l’Institut. En possession d une
érudition immense et plus versé que personne dans la con-
naissance des antiquités romaines, il a consigné dans des
mémoires publiés soit dans les Notizie degli scavi di antichità,
soit dans le Bullettino délia Conimissione archeologica comunale di
Roma, le résultat de ses études sur le Panthéon. Ces travaux
sont des modèles de méthode et de clarté. Pour lui, il n’hésite
pas à penser que le portique et la rotonde, tels qu’ils existent
aujourd’hui, ne sont pas entrés ensemble dans la conception
du premier édifice, et cela par des raisons tirées des discor-
dances architectoniques dont il a été parlé et qu’il fait ressor-
tir avec évidence. Il y a là, selon lui, un problème à résoudre;
historiquement, il y a même un mystère qui vient de ce que les
briques trouvées autour du monument et jusque dans l’avant-
corps, qui est entre la rotonde et le portique, sont du temps
d’Adrien. Une invitation à faire des recherches nouvelles,
telle est, en somme, la conclusion de l’éminent archéologue.
Même invitation, même appel en ce qui concerne la con-
struction. Quels moyens avaient été particulièrement employés
pour élever la coupole? Un ingénieur, qui est en même temps
un esthéticien des plus délicats, M. Choisy, avait reconnu
l’importance des questions qui se posaient à propos de cette
voûte, « pour laquelle, dit-il, une durée de dix-neuf siècles
semble être la meilleure garantie des procédés employés pour
la bâtir ». Et il ajoutait que « les connaissances de ces
méthodes fourniraient une donnée précieuse pour l’avance-
ment de l’art de bâtir et un fait important pour l’histoire de
l’architecture antique ».
Et avant d’aller plus loin, je résume encore l’état des idées
sur le Panthéon : doute sur son unité ; croyance à l’antério-
rité probable de la rotonde, par rapport au portique ; désir de
connaître le système de construction employé pour la coupole
et ayant assuré sa durée.
C’est ici que se place l’heureuse intervention d’un pension-
naire de l’Académie de France, de M. Chedanne. Le règle-
ment de l’Académie porte que dans la dernière année de son
séjour en Italie, le pensionnaire architecte exécutera la res-
tauration d’un édifice antique, travail comprenant un état
actuel et un état restauré de l’édifice. Un mémoire historique
et justificatif sera joint à ces dessins. Je croirais amoindrir
mon sujet en ne disant pas que l’idée de ce bel exercice est
due à Colbert. En tout cas, l’artiste choisit librement le
monument qu’il veut restituer; M. Chedanne a porté sa pre-
férence sur le Panthéon.
Maintenant, voici dans quel ordre il a procédé, et la mé-
thode qu’il a suivie n’est pas le moindre intérêt qu’offre son
travail; elle en est, en partie, la moralité. Il a commencé par
relever le plan du monument. Bien d’autres architectes
l’avaient fait avant lui. Mais M. Chedanne le recommença, en
y portant une attention extrême ; et ses mesures, prises avec
un soin minutieux et soumises à maintes vérifications, lui
donnèrent un premier et important résultat. Jusqu’ici, on
avait distingué dans le Panthéon le gros œuvre et la décora-
tion. On pensait que la construction avait d’abord été faite de
manière à se suffire à elle-même et que, après cela, on avait
appliqué sur le massif de maçonnerie une ordonnance archi-
tectonique indépendante et constituant un simple placage.
C’était l’opinion de Viollet-le-Duc, et elle avait grand crédit.
Dans ces conditions, les deux éléments n’eussent pas été dans
une corrélation intime. Mais, le plan une fois dressé, M. Che-
danne reconnut, par la direction d’axes encore inexactement
déterminés avant lui, que la construction et le décor formaient,
sur le sol, un tout parfaitement uni, s’ordonnaient suivant des
lignes identiques. Il s’arrêta à cette constatation, qui était une
première découverte, et il en conclut qu’une pareille unité,
si elle existait dans le plan, devait se retrouver dans l’éléva-
tion et dans toutes les parties de l’édifice. Cette vue si logi-
que était bien celle d’un véritable architecte. Elle est con-
forme aux plus saines théories de l’art; elle devait bientôt se
vérifier.
Depuis longtemps déjà, on remarquait, en quelques places,
à la base de la coupole, des traces d’infiltration. Elles exis-
taient à droite et à gauche de l’autel principal. Elles appe-
laient une réfection prochaine des enduits salpêtrés. Mais
comment l’opérer? Il appartenait à l’administration d’y pour-
voir. Appuyé par deux amis, qui sont l’un et l’autre mem-
bres du parlement italien et éminents architectes, M. le
comte Sacconi et M. Beltrami, M. Chedanne obtint que la
restauration des caissons, restauration nécessaire, fût entre-
prise. On y procéda sous sa direction et, le 20 mars, après
que le revêtement endommagé par 1'humidité eût été abattu,
on vit aussitôt que la coupole repose sur une série de petits
arcs encore ignorés et en même temps que ces arcs retombent
rigoureusement au moyen de piliers sur 1 axe des colonnes du
rez-de-chaussée. De plus, ces arcs sont, non pas inclinés
comme la voûte, mais dans une direction verticale. Que con- |