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L’ÉMULATION.
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dure de là ? C’est que ce système d’arceaux sert d’appui à la
coupole et de lien entre celle-ci et le corps du monument.
C est enfin, à un point de vue plus général et non moins
important, c’est qu’au Panthéon, la construction et la décora-
tion font un tout indissoluble et que les colonnes ne sont
pas un simple ornement, mais quelles soutiennent, en partie,
l’édifice.
On le comprend aisément : les arcs découverts par le jeune
architecte supportent la partie voûtée; ceux dessinés par
Piranesi, et indiqués beaucoup plus haut, ne reposaient sur
lien. Ils étaient suspendus et ils épousaient la forme de la
coupole. Ils pouvaient aider à en maintenir la courbure, mais
non pas en assurer la stabilité. Ils étaient inutiles à l’ensemble.
On vit aussi, quand les enduits eurent disparu, non seule-
ment que les caissons sont bâtis avec la voûte, mais que la
voûte elle-même est construite en matériaux parfaitement réglés
en grandes briques et non pas en un blocage de matériaux
légers, comme on tentait a le penser. De plus, on trouva au
centre d un des caissons mis à nu, un crampon de bronze,
indiquant qu’à cette place une rosace ou tout autre ornement
de métal avait pu se trouver fixé.
Enfin, M. Chedanne, après qu’il y eut été autorisé par le
ministre de 1'instruction publique d'Italie, qui comprit tout
d abord 1'importance des découvertes de notre pensionnaire,
M. Chedanne tira d’un des arcs mis à jour, quelques briques
et il y trouva des marques concordantes qui rapportaient la
construction de cette partie de l’édifice au règne d’Adrien.
Était-ce un détail et le fait d’une restauration datant du
ne siècle? Il fallait s’en assurer. Les autorisations nécessaires
furent libéralement accordées. La maçonnerie fut interrogée
a différentes hauteurs et jusqu’à sa base ; et partout les briques
se trouvèrent d’accord pour attester par écrit que c’était, non
pas au temps d’Auguste, mais à l’époque d’Adrien qu’il fallait
attribuer la construction de la rotonde du Panthéon.
Telles sont jusqu ici les découvertes de M. Chedanne et on
en voit les conséquences : unité organique de l’édifice dans
lequel le système de la construction est intimement lié à la
décoration ; arcs de la coupole servant de lien entre les parties
hautes et les parties basses de l’œuvre ; obligation d’admettre
que le Panthéon est une construction qui ne remonte ni à la
République, ni à Agrippa, mais qui appartient à Adrien ; et par
suite, nécessité de reconnaître que ce n’est pas le portique qui
a été ajouté à la rotonde, maisbien la rotonde qui a été accolée
au portique.
Ce sont là des résultats importants. Évidemment la lumière
jetée par ces faits nouveaux sur l’histoire et sur la technique
de 1'architecture est grande. Les théories les mieux fondées
en raison en souffrent quelque dommage. Il ne resterait plus
de 1 œuvre d’Agrippa que le vestibule et son fronton. Mais à
coté de 1'inscription gravée par le fondateur, il y en a une
autre, celle de Septime-Sévère et de son fils. Comment com-
prendre celle-ci ? Quelle sorte de restauration fut exécutée par
les deux empereurs pouvant rappeler le premier édifice ? Sur
ce sujet, un vaste champ est ouvert aux conjectures et M. Che-
danne pourrait s’y aventurer.
Mais la nature de son travail lui impose une réserve extrême,
et il ne paraît pas disposé à s’en départir. Il ne veut rien
avancer que sur preuves formelles; c’est ainsi que doit être
conduite une restauration. Rechercher dans un monument les
témoignages de son état passé, et après avoir reconnu ce qu’il
en reste à la surface du sol, fouiller ses substructions, retrou-
ver en terre quelque pan de muraille, ou la place d’une colonne,
utiliser des fragments en les remettant au lieu qu’ils devaient
logiquement occuper, en résumé, partir de l’état actuel pour
remonter de fait en fait à l’état ancien, tel est l’ordre que doit
suivre notre architecte dans l’œuvre qu’il poursuit. Il y apporte
1 intelligence et 1'amour de son art, la connaissance de toutes
les parties que l’architecture embrasse. Son esprit est péné-
trant et réservé ; il a les qualités qui inspirent la confiance et
la sympathie.
Ces sentiments, il les a rencontrés à Rome de la part des
artistes italiens, et chez les hommes qui sont placés à la tête
des grands services de l’Etat. Le ministre de l’instruction
publique, qui était alors M. Villari, le sous-secrétaire du même
département, M. le comte Pullè, les deux directions des arts
dans la personne de leurs chefs éminents, M, Barnabèi et
M. Buongiovannini, n’ont pas ménagé au jeune artiste les
marques d intérêt. Comprenant aussitôt la valeur et la consé-
quence de pareils travaux pour l’art, pour l’histoire et pour
1'archéologie, le ministère a pris une part effective à l’œuvre
commencée : il en a assumé les frais. Sans doute le même
concours lui sera prêté par l’administration éclairée de
M. Martini. De la sorte, le fruit des découvertes est mis en
commun et le profit en est pour la science. De tels faits hono-
rent hautement un pays et excitent en nous une vive gratitude.
Ils portent nos pensées dans une sphère meilleure où toute
division s’efface et où les esprits faits pour travailler à la vérité
sont heureux de se rencontrer et de s’entendre.
Les travaux du Panthéon se poursuivent et plusieurs faits
de détail apparaissent sans qu’on puisse en tirer encore de
conclusions certaines. Après avoir reconnu que la rotonde
était postérieure au portique, une idée se présentait naturel-
lement a 1'esprit : c’est que s’il restait d’autres vestiges du
temple élevé par Agrippa, on devait les rencontrer sous le sol
actuel du Panthéon. Pour s en assurer, une excavation a été
pratiquée, sous une dalle désignée par M. Chedanne comme
étant dans la direction présumée du mur de la cella primitive
et on y a trouvé, à côté de blocs de tuf laissés en désordre
un pavage antique de marbre encore en place à plusieurs
endroits. Au-dessous s’étend une aire de béton et plus bas
une nappe d’eau. Des sondages opérés extérieurement et
dans le voisinage du laconicum ont fait voir la même aire
bétonnée et la même couche d’eau. Celle-ci donnant partout
a sa surface un niveau constant, on a établi sans peine la
profondeur relative des différents sols existants et mis au jour
par la fouille. Ainsi, le pavé de marbre retrouvé à l’intérieur
est à 2m,i3 en contrebas du vestibule, et s’il en est ainsi,
comment communiquait-on du portique aux autres parties du
temple? Sans pousser plus loin, on voit que, dans l’état pré-
sent des choses, il est difficile d’émettre une opinion.
Néanmoins, quels que soient les faits inattendus que les
fouilles doivent nous révéler, la part de découvertes qui
revient à M. Chedanne est assez importante pour qu’on ne
tarde pas davantage à la faire connaître. Quant aux consé-
quences, après ce qui vient d’être rapporté, il faut renoncer à
beaucoup d idées reçues, et la science elle-même est changée
sur plus d'un point. Si l’on reconnaît aujourd’hui que l’édifice
circulaire est d Adrien, plusieurs des questions qui ont le plus
occupé les savants deviennent moins difficiles à résoudre.
D’abord, je le redis, il ne faut plus attribuer la rotonde au
temps de la République. Aussi bien était-il difficile d’admet-
tre que l’architecture romaine eût, en quelque sorte, débuté
par cette œuvre sans précédent, par une construction aussi
considérable et aussi belle sans qu’il en eût été fait mention.
Aujourd'hui, on comprendra mieux qu’après maintes entre-
prises qui introduisirent à Rome les formes de l’architecture
orientale et sous un empereur architecte et éclectique comme
Adrien, le Panthéon ait été exécuté avec la perfection où nous
le voyons. D’ailleurs, on le croit encore, c’est de l’Asie et non
de 1'Italie, c'est de la Mésopotamie qu’est venu l’art de faire
des massifs de briques et de matériaux comprimés et de les
revêtir de parements de marbre ou d’albâtre, comme cela se
pratiquait dès une haute antiquité dans le palais des rois
d’Assyrie. De pareilles masses de matériaux dans lesquelles le
bois n’entrait pour rien à Rome étaient à l’abri du feu. Cette
considération, que j’ai déjà émise, on peut l’opposer à ceux
qui voudraient qu'Adrien eût rétabli le Panthéen dans son
état primitif. Comment, étant dépourvu de tout élément com-
bustible, le premier temple aurait-il été incendié? Il semble-
rait que la réfection de l’an 123 eût été, en partie du moins
une création.
Dans ces conditions, nous nous arrêtons avec hésitation
devant les textes de Pline. Ne sont-ils pas plus vieux que le
Panthéon actuel de près d’un siècle ? Ces textes ont été étu-
diés avec une persévérance infatigable ; ils sont l’objet d’un
grand respect. Mais peut-être a-t-on étendu outre mesure leur
signification? Non seulement on tient compte de ce qu’ils
disent et on 1'accepte; mais, même en présence du monu-
ment, on croit devoir admettre, comme attesté par eux, ce
qu ils ne disent pas. Pline parle d'un temple. Il fait mention
d’un fronton, de cariatides, de chapiteaux de bronze, mais
nulle part d’une rotonde et d’une coupole, choses cependant
dignes de remarque. Cette voûte si vaste devait être, même à
Rome, quelque chose qui méritait l’attention. En tout cas,
rien de ce que rapporte l’auteur ne s’accorde avec ce qui
existe. Mais si l’on veut bien penser qu’il voyait et décrivait
un autre édifice, tout se simplifie. Alors le temple, un octo-
style, se développe suivant les règles de Vitruve, et la cella
répond logiquement à l’ordonnance du vestibule. L’intérieur
est divisé en trois nefs par des colonnes dont les chapiteaux
sont de bronze. Les colonnes du milieu forment un premier
ordre, et elles portent des cariatides sur lesquelles la char-
pente vient poser. Cette partie de l’œuvre a pu brûler, les
poutres n’étant pas seulement de bronze, mais de bois recou-
vert de métal. L’incendie a pu être allumé par la foudre ; il a
pu aussi etre concentré dans la cella et le portique rester
intact. Voilà ce qu’il serait permis de penser du premier Pan-
théon, en concluant de ce qu’il en reste à ce qui en a péri ; et
peut-être les decouvertes à venir viendront-elles justifier ces
conjectures.
Quant au texte de Dion Cassius, il s’appliquerait aux choses
de son temps. Pline était mort en 79. Dion, qui était né en
155, a certainement vu le monument dans un état différent
de celui que Pline a décrit. Depuis lors, le Panthéon avait
été brûlé et rétabli deux fois. Les restaurations très fidèles
telles que nous nous efforçons de les exécuter aujourd’hui
n étaient guère plus dans les habitudes des anciens que les
copies serviles ; et chaque empereur devait être tenté de met-
tre du sien dans ce qu’il reconstruisait. Dion vit le Panthéon
tel qu il était sous Septime-Sévère, et c’est de celui-là qu’il a
parlé. Mais cette réfection venait après celle d’Adrien et mal-
gré 1'inscription dont il a été parlé plus haut, peut-on la consi-
dérer comme ayant reproduit avec une rigoureuse exactitude
le temple bâti ou consacré par Agrippa ?
Mais je discute, j’émets des suppositions et des doutes, et
je n’ai point qualité pour cela. Qu’on m’excuse. Tout ce que
je puis dire, c’est que les découvertes de M. Chedanne me
semblent simplifier la tâche des archéologues et leur enlever
un grand souci : celui de faire cadrer les indications fournies
par Pline avec la réalité présente, celui de faire entrer dans
un édifice postérieur en date ce qui appartenait à un édifice
plus ancien.
Ce que le travail dont nous nous occupons a aussi de par-
ticulier, c est que 1'auteur y est parti de l’étude de la construc-
tion. Il n'a pas été ébloui par les beautés de son modèle au
point de n en voir le complément que dans sa propre imagi-
nation. Il a voulu en connaître la raison profonde. Il n’a pas
eu la prétention d’interpréter les textes ; cet art n’est pas le
sien. Il se borne à déchiffrer les débris du passé et à inter-
préter les formes architectoniques, ce qui constitue une épi- |