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L’ÉMULATION.
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L’architecture à l’étranger
LE PALAIS DU PEUPLE A BRUXELLES
oilà que les idées timidement
émises par nous, il y a peu
d’années, idées auxquelles on
avait prêté peu d’attention en
France, font petit à petit leur
chemin... en Belgique.
Il s’agissait, dansces articles,
de la décoration des salles
d’exposition du futur musée
des Arts décoratifs, dont il
était question alors. Ce musée
est toujours à l’état futur, du
reste. Nous proposions, à cette époque, de donner à cha-
cune des salles du palais nouveau un style particulier, en
rapport avec les objets qui devaient y trouver place. Notre
plan eut le sort de toutes les nouveautés dans notre cher
pays : on le jugea inopportun.
La Belgique est en train d’organiser un Palais du Peuple,
dans les bâtiments du parc du Cinquantenaire, à Bruxelles,
ce plan méprisé par nos Comités. Le gouvernement, pour ce
faire, s’est adressé à la Société archéologique du pays ; et
nous avons sous les yeux le rapport présenté au roi par deux
de nos sympathiques confrères, M. Paul Saintenoy, archi-
tecte, et M. le baron Alfred de Loë, qui nous fait savoir que
ce plan va entrer prochainement en voie d’exécution.
Ces messieurs, s’appuyant sur notre article de la Semaine,
agrandissent largement notre petit programme, et proposent
de créer, de toutes pièces chez eux, l'Histoire du travail, dans
des séries de dioramas analogues à ceux de la section des
Eaux et Forêts, de l’Exposition du Trocadéro, en 1889, qui
formeraient le complément et la mise en action des galeries
voisines, où seraient rangés les objets, les moulages, les
tableaux explicatifs, les photographies et les dessins relatifs
à chacune des époques représentées dans ces tableaux
animés.
Le projet est véritablement grandiose et d’une utilité incon-
testable pour la vulgarisation de la science, chose qui préoc-
cupe avant tout nos voisins.
Ils commencent ab ovo par le préhistorique.
Leurs premières scènes se passent dans une caverne, celle
du Frontal, par exemple, où ils mettent des groupes, des
personnages quaternaires, les uns, taillant le silex; les autres,
gravant l’ivoire, l’os et les bois de cervidés.
Dans la seconde, ils passent à l’époque néolithique, au polis-
sage des haches, à la confection des vases et, comme horizon
à leurs huttes coniques, ils profilent sur le ciel des monu-
ments mégalithiques, menhirs, dolmens, alignements, qui
donnent, selon eux, « une idée juste de l’organisation sociale
« de ces peuples, de l’autorité dont jouissaient leurs chefs,
« et de la vénération qu’ils avaient pour leurs morts ».
Pour l’âge de bronze, ils reconstituent une cité lacustre,
avec armes, outils, faucilles, colliers, bracelets de métal et
fourneaux des marteleurs et des mouleurs du temps des
proto-helvètes.
Pour le fer, ils groupent des forgerons au travail, expli-
quant par l’action l’usage de tous les vestiges trouvés dans la
Carinthie, en Suède, dans le Jura bernois, sur la Meuse.
* *
Puis, ils arrivent à l’histoire même des civilisations, recon-
stituant, pour l’Egypte, le portique hypostile d’un temple par
la baie duquel on aperçoit au loin les Pyramides et la Mas-
tabas.
Après, des ouvriers pharaoniques se livrent à toutes les
industries, dont les détails si précis nous ont été conservés
sur les bas-reliefs des hypogées de la vallée du Nil.
Ils projettent ensuite de restituer le palais de Sargon pour
la période assyrienne, avec, comme personnages, des émail-
leurs de briques polychromes et des sculpteurs de taureaux
ailés.
Pour donner une idée de la Phénicie, sans s’inspirer aucu-
nement de nos décorateurs de l’Opéra, ils prennent le port
marchand de Carthage avec les boutiques des trafiquants, où
s’entassent les merveilles de l’industrie du monde entier. Dans
leur diorama, des galères de combat s’aperçoivent sortant du
Cothon, le port militaire, et, devant, le palais de l’amiral se
voit, posé sur une île, au milieu de la rade. C’est du Salammbô
à faire bondir M. Ledrain, lui-même.
Comme en Belgique ils croient encore à l’art hébreu, nos
confrères demandent à restituer dans leur galerie le temple
de Salomon. Ce n’est pas à M. Renan, qui a fait justice de
cette cour du roi David, qu’ils s’adresseront pour l’édification
de ce temple. Mais ils ont les travaux de MM. de Yogüé, de
Saulcy, Perrot et Chipiez. Hélas ! qu’ils réfléchissent bien
avant de consacrer une erreur qui a déjà duré si longtemps.
Mieux informés par des documents certains, cette fois, ils
doivent aussi tenter de faire revivre, dans ce Palais du
Peuple, la civilisation hindoue, avec les sanctuaires de Chil-
lambrun, de Jaggernaut, et les souterrains d’Ellora et d’Elé-
phanta.
♦ *
L’analyse complète du projet de nos confrères nous entraî-
nerait trop loin. Indiquons en quelques lignes leur diorama
des Perses, avec l’Apadana de Darius; celui des Gaulois, en
train de s’exercer aux armes (ludus pro pairia), sous les mu-
railles d’un oppidum en construction ; la vue de l’Acropole
d’Athènes, avec, au premier plan, ses philosophes assis dans
une exhèdre, puis, celle d’une maison romaine, accortée de
catapultes, de scorpions et de guerriers en cuirasse, donnant
bien l’idée du peuple qui ne connut comme art que l’art de
la guerre.
t* Pour les Francs, ces messieurs proposent les ruines d’une
cité détruite par ces barbares. Bien philosophes, on le voit,
ces braves Belges !
Enfin, pour symboliser le moyen âge, nos architectes
représenteraient le chantier de construction d’une cathédrale,
avec, auprès, l’atelier d’un orfèvre et celui d’un tailleur
d’images.
Pour la Renaissance enfin, une imprimerie inspirée de la
magnifique officine plantinienne d’Anvers.
Èi Le plan est immense, on le voit. Mais, résolus quand
même à faire l’éducation du peuple,, ces braves initiateurs se
mettent vaillamment à l’œuvre. Quel exemple ils nous don-
nent !
¥ *
Dans un second rapport, toujours signé de MM. Saintenoy
et de Loë, se trouve tracé à grands traits l’idée d’une repro-
duction « de la vie sociale aux grandes époques de l’histoire ».
Là, ce sont des processions majestueuses que rêvent nos
savants, toujours avec des vues dioramiques comme fond.
Celle des Panathénées pour Athènes, celle d’un triomphe
d’empereur victorieux pour Rome; celle d’un roi de Memphis
allant sacrifier au temple d’Ammon, Rha, pour l’Egypte ;
puis, le cortège de Sargon pour Ninive.
Arrêtons-nous. Habitués qu’ils sont dans ce pays, resté un
peu espagnol, aux défilés de chars innombrables de leurs
fêtes nationales, ils veulent également reconstituer les théo-
ries byzantines et les pas d’armes du moyen âge, les tournois,
que sais-je encore? C’est beaucoup pour un Palais du Peuple.
Leur Histoire du Travail, seule, suffirait, ce nous semble.
Nous ne pouvons, quand même, que souhaiter bonne
chance à ces novateurs. Ils terminent leur rapport en remer-
ciant les pouvoirs publics de les avoir conviés à cette réalisa-
tion, et ils espèrent que le gouvernement « va les mettre
« bientôt à même de réaliser cette conception grandiose ».
M. Garnier, on le voit, a fait école. La science archéolo-
gique envahit tout. Ce n’est pas nous qui nous en plaindrons.
Un peuple qui renie son passé n’est pas un peuple
d’avenir, a dit un profond philosophe. Certes, la Belgique
étudie trop le sien pour qu’elle ne prenne pas bientôt, si
nous la laissons faire, la tête de la phalange qui ouvre si cou
rageusement la grande voie du progrès humain.
(La Semaine des constructeurs.) Th. Blanchepierre.
SOCIÉTÉ CENTRALE D’ARCHITECTURE
Séance plénière annuelle du 20 décembre 1891
Présidence de M. F. De Vestel, président
(Suite). — Voir col. 53
M. Van Humbeeck estime que le moment est mal choisi
pour demander la suppression de l'examen scientifique.
Les matières du programme datant de 1842 sont même
insuffisantes. A l’époque actuelle, les connaissances techni-
ques sont plus que jamais indispensables. Ne donnons pas
de nouvelles armes aux ingénieurs qui, trop souvent déjà,
tendent à nous supplanter.
Généralement, nous avons à faire des bâtiments utili-
taires, où l’art est question non prédominante. Un bagage
artistique ne suffit donc pas à l’architecte; les connais-
sances scientifiques lui sont tout aussi indispensables.
L’enseignement est très incomplet dans nos académies. On
y apprend surtout à faire de belles moulures. Un jeune
homme, quelque bien doué qu’il soit, ne peut, en travaillant
deux heures par jour, s’assimiler les connaissances néces-
saires à l’architecte.
Il y a donc lieu, avant tout, de protester contre le système
d’enseignement en vigueur, et de demander le développement
de celui-ci à la fois dans le sens artistique et dans le sens
scientifique.
Quant au programme de l’examen, il est en effet très long,
mais c’est un épouvantail, un simple dragon chinois ; toutes
les matières à connaître tiendraient en un volume gros comme
le doigt. Elles sont possédées, dès l’âge de 17 ans, par tous
les jeunes gens ayant fait des études moyennes. On devrait
étendre ce programme, mais en élaguer les détails inutiles.
M. Acker fait observer que ces connaissances théoriques,
possédées à 17 ans, sont oubliées, tout au moins leurs détails,
à 22 ans, époque de l’examen.
M. Dumortier partagerait l’avis de M. Van Humbeeck,
s’il était question du programme d’un examen à passer pour
l’obtention du diplôme d’architecte, mais il s'agit ici de sim- |