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dans ce cas, ne serait-il pas préférable, tant dans l’intérêt des
communes que pour leur mémoire, de n’avoir point à leur
actif leur œuvre dernière !
Si encore, Messieurs, les administrations publiques choisis-
saient toujours des hommes de savoir et de talent, je ne crains
pas de le dire, nos réclamations, quelque justes qu’elles soient,
seraient moins vives ; mais, à côté des hommes dont notre art
et notre pays ont le droit de s’enorgueillir, combien n’en est-il
point qui n’ont à leur actif qu’une réputation usurpée et dont
cependant les élucubrations s’étalent jusque dans la capitale.
Si l’institution des concours avait été organisée, pensez-vous
que l’hôtel des Monnaies à Saint-Gilles, l’habitation du direc-
teur du Conservatoire à Bruxelles, les palais de Justice de
Dinant et de Tournai, et bien d’autres monuments que vous
connaissez eussent été édifiés comme ils le sont actuellement !
D’autre part, il faut bien le reconnaître aussi, le favoritisme
fait des progrès effrayants et continus en Belgique. Nos gou-
vernants sont sollicités de tous côtés, et il n’est pas rare d’en-
tendre cette réponse qu’un haut magistrat communal faisait
dernièrement à l’un de nos collègues : « Certes, Monsieur,
« votre mérite est supérieur à celui de vos compétiteurs, mais
« ceux-ci sont bien protégés, etje crains bien, étant données ces
« influences, ne pouvoir vous accorder le travail auquel vous
« avez droit.» Cette protection,Messieurs,vous la connaissez :
c’est celle ou d’une association politique quelconque, ou d’une
loge philosophique, ou d’une communauté religieuse. Car il
existe dans notre pays, non seulement des communes, mais
encore des provinces presque entières où, pour obtenir le
moindre travail, il importe avant tout de se faire connaître
comme catholique ou comme libéral, et le talent n’est plus
que chose secondaire.
Cette critique ne porte pas sur la politique en elle-même.
Nous admirons les hommes qui, soit au Parlement, soit dans
les Collèges provinciaux ou communaux, se dévouent pour
la patrie. Nous éprouvons une sympathie non moins grande
pour ceux qui, dans une sphère plus modeste, se contentent
de les suivre comme des soldats dévoués à la grande cause
qu’ils défendent. Mais parmi ceux-ci nous en distinguons qui
se targuent de prétendus services ou d’une commune opinion
politique pour se faire octroyer des commandes. Ceux-là ne
sont plus pour nous les défenseurs de leurs convictions, mais
de véritables mercenaires que nous pourrions dédaigner, si leur
salaire n’était prélevé, au grand détriment de l’intérêt général,
sur un bien auquel moralement nous prétendons avoir droit.
Nous pensons du reste que les administrations publiques
seraient enchantées de se débarrasser de ces entraves qui leur
donnent une lourde responsabilité. C’est à nous à les éclairer,
à leur démontrer l’inanité des préjugés élevés contre les con-
cours publics. Jusqu’ici des gens en qui elles avaient confiance
les ont circonvenues en leur faisant valoir tous les hasards
d’un concours qui pourraient livrer, disent-ils, l’exécution
d’un monument à un inconnu, tandis qu’il serait très bien
compris et très bien exécuté par tel ou tel de leur entourage.
Ce grief ne tient pas plus à l’examen que les autres, car
quelque talent que l’on ait, l’imagination a ses caprices et ses
moments de lassitude, l’œuvre entier d’hommes, même, de
génie, est là pour le démontrer. Quant à l’exécution matérielle
d’un monument, ai-je besoin de vous rappeler la part active
qu’y prennent maintenant les fonctionnaires des bâtiments
civils et des bureaux de travaux des communes ? Que ce soit
une œuvre obtenue par faveur, passée de la main à la
main, ou par concours, la surveillance est la même. Il n’y a
donc pas là de hasard mais bien un élément positif avec
lequel les plus grands artistes doivent compter.
On a aussi parlé de la liberté des communes, mais celle-ci
est-elle amoindrie lorsqu’elles ont recours aux adjudications
publiques qui ne sont en somme que les concours que nous
demandons, mais sous une forme plus matérielle.
Je pense donc, Messieurs, que c’est en vain qu’on amasse à
grands frais d’imagination quelques griefs contre l’adoption
des concours publics. Ces luttes courtoises gagnent de jour
en jour des partisans, et elles sont en elles-mêmes si logiques
que l’industrie même s’en empare. L’exposition de 1888 a été
transformée, vous le savez, en grand concours international.
Et la ville de Bruxelles ouvre en ce moment un concours
pour les appareils de chauffage à gaz dans lequel une somme
de 10,000 francs est affectée aux primes à distribuer.
Les avantages du système que nous préconisons sont mul-
tiples :
Il permet à tous les artistes de faire connaître leur talent.
Il anéantit le favoritisme ; sous ce rapport, c’est une œuvre
essentiellement morale, équitable, juste.
Il permet l’éclosion de toutes les idées anciennes ou nou-
velles. A toutes les écoles, gothique, renaissance, classique et
autres d’exprimer leur tendance et au public d’en apprécier la
valeur.
Aux administrations, au lieu d’accepter une œuvre quelcon-
que, de choisir le meilleur projet, tant au point de vue écono-
mique qu’artistique, parmi les plus étudiés. Elles trouveraient
là, sous ce rapport, une véritable consultation où les idées abon-
deraient ; la lumière en jaillirait, et l’on ne verrait plus commen-
cer à discuter le mérite et le coût des monuments, comme cela se
fait aujourd’hui, alors qu’ils sont exécutés et qu’on les inaugure.
Le peuple même prendrait goût à visiter ces expositions
qui seraient de celles dont on parlerait. Je n’en veux pour
preuve que l’exposition organisée lors du concours pour la
Bourse d’Amsterdam, qui fut visitée par plus de 25,000 per-
sonnes. Il y trouverait matière à la critique et à étendre son
jugement. Ce serait pour lui une véritable école qui aurait
pour effet de répandre dans les masses les principes du beau,
d’où naîtrait peut être cette renaissance si désirable dans
l’industrie.
La presse s’en occuperait alors, et l’on ne verrait plus notre
art mis à l’index pour cette raison que nous donnait dernière-
ment, fort naïvement, un de nos grands critiques, « qu’il
« n’est guère commode d’apprécier l’architecture... quand
« on ne la connaît pas ».
Notre art aussi en profiterait, car une émulation constante
animerait les artistes, les forcerait à travailler en donnant aux
uns, le désir si légitime de sauvegarder leur réputation, aux
autres, l’espérance de voir un jour leurs efforts couronnés et
leur talent reconnu.
Et si quelque lutte internationale se présentait à nouveau,
l’expérience que nous aurions acquise dans ces tournois artis-
tiques, nous permettrait de soutenir à l’étranger la vieille
renommée de l’art architectural belge, et nous ne verrions plus,
comme c’est le cas aujourd’hui, la France, ce grand et géné-
reux pays qui depuis longtemps s’est exercé dans les con-
cours publics, nous dominer et nous écraser. Il y a là un
grand devoir patriotique à accomplir et nous n’y faillirons pas.
Telles sont les raisons qui me forcent à croire que les con-
cours publics seuls répondent aux véritables intérêts de l’art,
des artistes et du pays.
En conséquence, j’ai l’honneur, Messieurs, de vous propo-
ser d’émettre le vœu de les voir adopter en Belgique pour tous
les édifices que l’État, les provinces et les communes ont à
faire exécuter.
M. Charlier (de Liége), demande de communiquer le
rapport de M. Raquez aux divers conseils communaux.
M. le Président dit que la propagande a commencé depuis
quelque temps par l’envoi aux administrations d’un pro-
gramme-type et que nous comptons, sous peu, publier une
brochure en faveur des concours publics. Néanmoins il appuie
la proposition, qui est adoptée à l’unanimité.
M. Acker.développe ensuite les idées qui ont été généra-
lement admises par la Société pour l’organisation des con-
cours publics. Il en expose le côté pratique.
Messieurs,
La mise au concours des édifices publics semble être géné-
ralement admise-en principe, et cependant bon nombre d’ar-
chitectes montrent pour cette idée, sinon de l’hostilité, tout au
moins une indifférence absolue.
Nous n’entendons pas parler de quelques-uns de nos con-
frères qui, à cause de leur situation toute spéciale, se sont
désintéressés de la question. Les administrations publiques
leur confiant des travaux directement, il est tout naturel que
les concours ne leur disent rien qui vaille. A leur place, peut-
être, ne penserions-nous pas autrement qu’eux. Mais, en dehors
de ces privilégiés, peu nombreux en somme, un nombre con-
sidérable d’architectes d’expérience et de talent reconnu, pré-
fèrent rester les bras croisés que de courir les risques des con-
cours, tels qu’ils sont organisés actuellement.
Quelle peut être la cause de cette abstention ?
. La question que nous nous sommes posée a été faite égale-
ment au Congrès international des architectes, tenu à Paris
en 1878, et M. Davioud y répondait ceci : « Tous les archi-
tectes ne prennent pas part au concours pour deux raisons :
la première, c’est qu’il faut dépenser beaucoup de temps et
d’argent pour faire un concours ; la seconde, ce sont les injus-
tices commises. »
Ces deux raisons admises à Paris, le seront également chez
nous, car plus peut-être que nos voisins, avons-nous vu de
ces concours organisés en dépit du sens commun et bien faits
pour dégoûter à tout jamais ceux qui s’y étaient frottés.
Il faudrait beaucoup d’espace pour raconter en détail l’his-
toire des concours pendant ces dix dernières années, mais
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L’ÉMULATION.
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