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ticulièrement sur un point. C’est qu’ici la loi est complète-
ment sans force.
J’en conclus, Messieurs, dans les trois cas à l’impuissance
des lois actuelles, que les monuments historiques dépendent
des administrations fabriciennes, civiles ou privées.
Une législation s’impose donc sur la matière.
C’est ce qu’avaient compris nos confrères de la Société des
Architectes anversois, lors du dernier congrès archéologique,
tenu en août dernier, à Namur. Par l’organe de son prési-
dent, M. Van Riel, que nous regrettons de ne pas voir parmi
nous, cette société a prié le Congrès d’émettre le vœu de voir
étudier par nos Chambres, une loi sur le classement et la
protection des monuments historiques, s’inspirant de celle qui
a été récemment votée en France.
Hâtons-nous de dire que ce vœu fut admis à l’unanimité et
que depuis la Commission des monuments et l’Académie
d’Archéologie d’Anvers s’occupent de la même question.
Une des objections que l’on peut faire valoir contre l’idée
d’une loi semblable, quant aux édifices du culte, est que la
loi sur le temporel des cultes suffit et qu’il existe des circu-
laires ministérielles sur la matière qui répondent à ce but.
Les écrits de M. Schuermans réfutent complètement cette
objection, et il en serait de même pour les édifices civils', si ce
magistrat les avait compris dans son travail. Une autre preuve
est, comme nous le disions plus haut, l’impuissance de la
Commission des monuments à ce sujet.
Quant aux monuments tombés dans le domaine privé, la
question est plus complexe. Comment pourrait-on utilement
empêcher leurs propriétaires juridiques de les abattre ou de les
défigurer? La loi française que je vous lirai tantôt répond :
Quand il y a bon vouloir de la part du possesseur, l’État
n’interviendra que par voie de subsides, tout en conservant le
haut contrôle sur les restaurations à faire, mais lorsqu’il y
aura mauvais vouloir de la part du propriétaire, lorsque
celui-ci ne voudra pas laisser restaurer son immeuble, lorsqu’il
voudra le démolir, — alors l’État est armé par la loi et il peut
poursuivre l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Cela peut vous paraître excessif, mais songez donc, Mes-
sieurs, qu’il s’agit des monuments historiques, de ces édifices
qui font l’orgueil d’une cité, d’un pays, des restes de notre
art national ; songez donc que chacun de ces vieux monu-
ments est, comme on l’a dit, une page de l’histoire de la patrie
et qu’en le laissant démolir, vous déchirez cette page des
annales nationales, et dites-moialors, n’y a-t-il pas là, à côté de
la propriété juridique du possesseur, une propriété morale
qui demande d’autant plus protection qu’elle est l’apanage de
tous.
Supposez un instant un possesseur d’un édifice historique
qui attire la foule des touristes dans une localité quelconque,
— cet édifice est la richesse du pays, — supposez cet homme
pris d’un caprice singulier et jetant bas ce curieux monument
qui enrichit les populations d’alentour. Ne se rend-il pas
coupable d’un véritable vol? N’est-ce pas le pain qu’il prend à
ses malheureux voisins, et ceux-ci n’avaient-ils pas la propriété
morale de cet édifice, s’il leur manquait la propriété juridique ?
Et s’il vous restait un doute, veuillez vous rappeler com-
ment ces monuments sont sortis du patrimoine public. La
plupart ont été achetés pour un prix dérisoire à la suite des
tourmentes populaires. Vous vous rappelez tous, j’en suis sûr,
de tristes exemples de ce cas, ici tout près et partout sur le
sol dé la Belgique, partout vos souvenirs vous en diront et
les noms et les malheurs.
Dites-moi alors si celui qui démolit un monument histori-
que ne se rend pas coupable d’une spoliation du bien de tous ?
Votre réponse sera affirmative, j’en suis sûr.
Que l’on ne vienne pas nous dire surtout que les subsides
suffiront dans la généralité des cas.
Non, ce moyen ne suffit pas en général, quoique pour des
cas particuliers nous reconnaissions volontiers son efficacité.
Bref, sans m’appesantir davantage sur la question, je con-
clus, Messieurs, à l’urgence d’une loi sur ces matières.
Nos voisins du Midi en ont reconnu la nécessité et les
1o-13 avril et Ier juin 1886, le Sénat français a voté la loi sui-
vante que je vous demande la permission d’analyser briève-
ment, tout en la lisant :
Projet de loi sur la conservation des monuments historiques, adopté en première et
enieuxième lectures par le Sénat français, les 10 et iS avril et le Ier juin 18S6.
Chapitre Ier. — Monuments.
Art. 1er. Les immeubles par nature ou par destination dont la conser-
vation peut avoir, au point de vue de l'histoire ou de l’art un intérêt
national, seront classés en totalité ou en partie par les soins du ministère
de l’instruction publique et des beaux-arts.
Art. 2. L’immeuble appartenant à l’État sera classé par arrêté du
ministre de l’instruction publique et des beaux-arts en cas d'accord avec
le ministre dans les attributions duquel l’immeuble est placé.Dans le cas
contraire, le classement sera prononcé par un décret rendu en la forme
des règlements d'administration publique.
L’immeuble appartenant à un département, à une commune, à une
fabrique ou à tout autre établissement public, sera classé par arrêté du
ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, s’il y a consentement
de l’établissement propriétaire et avis conforme du ministre, sous l'auto-
rité duquel l'établissement est placé. En cas de désaccord, le classement
sera prononcé par un décret rendu en la forme des règlements d’admi-
nistration puhlique.
Art. 3. L’immeuble appartenant à un particulier sera classé par arrêté
du ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, mais ne pourra
l'être qu’avec le concours du propriétaire. L’arrêté déterminera les con-
ditions du classement.
S’il y a contestation sur l’interprétation de cet acte, il sera statué par
le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, sauf recours au
Conseil d’État statuant au contentieux.
Art. 4. L’immeuble classé ne pourra être détruit même en partie, ni
être l’objet d’un travail de restauration, de réparation ou de modification
quelconque, si le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts n’y
a donné son consentement.
L’expropriation pour cause d’utilité publique ne pourra être poursui-
vie qu'après que le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts
aura été appelé à présenter ses observations.
Les servitudes d’alignement et autres qui pourraient causer la dégra-
dation des monuments, ne sont pas applicables aux immeubles classés.
Les effets du classement suivent l'immeuble classé en quelques mains
qu’il passe.
Art. 5. Le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts pourra,
en se conformant aux prescriptions de la loi du 3 mai 1841, poursuivre
l’expropriation des monuments classés ou qui séraient de sa part l’objet
d'une proposition de classement refusée par le particulier propriétaire.
Il pourra, dans les mêmes conditions poursuivre l'expropriation des
monuments mégalithiques, ainsi que celle des terrains sur lesquels ces
monuments sont placés.
Art. 6. Le déclassement total ou partie! pourra être demandé par le
ministre dans les attributions duquel se trouve l’immeuble classé, par le
département, la commune, la fabrique, l'établissement public et le par-
ticulier propriétaire de l'immeuble.
Le déclassement aura lieu dans les mêmes formes et sous les mêmes
distinctions que le classement.
Toutefois, en cas d'aliénation consentie à un particulier de l’immeuble
classé appartenant à un département, à une commune, à une fabrique
ou à tout autre établissement public, le déclassement ne pourra avoir
lieu que conformément au § 2 de l’article 2.
Art. 7. Les dispositions de la présente loi sont applicables aux monu-
ments régulièrement classés avant sa promulgation.
Toutefois, lorsque l’État n’aura fait aucune dépense pour un monu-
ment appartenant à un particulier, ce monument sera déclassé de droit
dans le délai de six mois après la réclamation que le propriétaire pourra
adresser au ministre de l'instruction publique et des beaux-arts pendant
l'année qui suivra la promulgation de la présente loi.
Chapitre II. — Objets mobiliers.
Art. 8. Il sera fait, par les soins du ministre de l’instruction publique
et des beaux-arts un classement des objets mobiliers appartenant à l’État,
aux départements, aux communes et autres établissements publics, dont
la conservation présente, au point de vue de l'histoire ou de l’art, un
intérêt national.
Art. g. Le classement deviendra définitif si le département, les com-
munes, les fabriques et autres établissements publics n'ont pas réclamé,
dans le délai de six mois, à dater de la notification qui leur en sera faite.
En cas de réclamation, il sera statué, par décret rendu en la forme des
règlements d'administration publique.
Le déclassement, s’il y a lieu, sera prononcé par le ministre de l’instruc-
tion publique et des beaux-arts. En cas de contestation il sera statué
comme il vient d'être dit ci-dessus.
Un exemplaire de la liste des objets classés sera déposé au ministère
de l’instruction publique et des beaux:arts et à la préfecture de chaque
département où le public pourra en prendre connaissance sans déplace-
ment.
Art. 10. Les objets classés appartenant à l’État seront inaliénables et
imprescriptibles.
Art. 11. Les objets classés appartenant aux départements, aux com-
munes, aux fabriques ou autres établissements publics ne pourront être
restaurés, réparés ni aliénés par vente, don ou échange qu'avec l’autori-
sation du ministre de l'instruction publique et des beaux-arts.
Art. 12. Les travaux de quelque,nature qu’ils soient, exécutés en vio-
lation des articles qui précèdent, donneront lieu, au profit de l’État, à
une action en dommages-intérêts contre ceux qui les auraient ordonnés
ou fait exécuter.
Les infractions seront constatées et les actions intentées et suivies
devant les tribunaux civils ou correctionnels, à la diligence du ministre
de l’instruction publique et des beaux-arts ou des parties intéressées.
Art. 13. L’aliénation faite en violation de l'article 11 sera nulle, et la
nullité en sera poursuivie par le propriétaire vendeur ou par le ministre
de l'instruction publique et des beaux-arts sans préjudice des dommages-
intérêts qui pourraient être réclamés contre les parties contractantes et
contre l’officier public qui aura prêté son concours à l’acte d’aliénation.
Les objets classés qui auraient été aliénés irrégulièrement, perdus ou
volés, pourront être revendiqués pendant trois ans, conformément aux
dispositions des articles 2279 et 2280 du code civil. La revendication
pourra être exercée par les propriétaires et à leur défaut par le ministre
de l'instruction publique et des beaux-arts.
Chapitre III. — Fouilles.
Art. 14. Lorsque par suite de fouilles, de travaux ou d’un fait quel-
conque, on aura découvert des monuments, des ruines, des inscriptions,
ou des objets pouvant intéresser l'archéologie, l’histoire ou l’art, sur des
terrains appartenant à l'État, à un département, à une commune, à une
fabrique ou autre établissement public, le maire de la commune devra
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L’ÉMULATION.
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