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250 LA BELGIQUE.
ajourées, bonnets fleuris comme des jardins, capulets broussaillés de fanfreluches, profonds
chapeaux de paille hirsute qui, les jours dominicaux, se plantent sur les bouillonnées des
ruches. Piétés devant les échoppes, les paysans aux larges carrures palpent entre leurs
doigts calleux les étoffes, scrutent d'une prunelle d’Argus les tares de la marchandise, ou,
les mains dans les poches, couvent de leurs hésitantes convoitises, lentes à se résoudre,
les étalages pleins de tentation, tandis que le forain, un malin jamais à court de ruses,
caponne pour allécher ses clients. Les sarraux indigos, apanage des aborigènes, les courtes
vestes fermées de brandebourgs qui, chez le métayer du Polder hollandais, s’accompagnent
d'un chapeau haut de forme, les blaudes couleur de lin en fleur, vêtement distinctif des
marchands de bestiaux, s'entremélent, baguenaudent, flänent, avec des lenteurs lourdes de
coléoptères, parmi les sombres mantes flottantes et les coiffures enrubannées des natives
de Flandres, les grosses jupes ballonnées aux hanches et les bonnets tire-bouchonnés de
spirales d'or des contadines zélandaises. Les unes et les autres, piquées par l'ardillon des
coquetteries, encombrent les boutiques de joailleries, épiant le scintillement des stras et des
chambourins, ou bien mirent dans la glace éraflée de la modiste, une fine commère ! leurs
grosses joues saines serties d'une coiffe à l'essai.
Cependant la foule, depuis quelques instants stationnaire, reflue vers un antique ratier,
braillant d'une voix de fausset les mérites de sa « mort aux rats », à deux pas d'un ménétrier,
rouleur de kermesses, lequel, debout sur une chaise, dégoise une complainte tragique en
raclant son violon. Des camelots çà et là ont dressé des établis par-dessus lesquels ïls font
des gestes insinuants, éblouissant les femmes du chatoiement de leurs bagues ; et des
marchands de pâtisseries poussent un aigre cri d'appel, l'épaule sanglée de la bretelle
qui leur retient l'éventaire sur le ventre. À mesure que l'heure avance, les sollicitations des
margoulins deviennent plus pressantes. « Holà! homme cossu, beau garcon, coq de village,
ohé! ho! dame fermière, et vous, fille bien en point, la riche héritière, achalandez mon
fonds et faites luire au clair soleil vos rouges liards! » Les merciers cognent leur traiteau
du plat de leurs aunes; les bourreliers mettent en branle le carillon des licols; quelquefois
une facélie est risquée par un casquetier qui, avisant un béjaune, lui enlève dextrement le
couvre-chef de la nuque et y substitue un de ces dômes mous, soufflés comme des vesses-
de-loup. Sur le grondement sourd des voix d'hommes brochent des chamaillis de timbres
féminins ; poings sur la hanche, acheteuses et trafiquantes marchandent acrimonieusement ;
les reparties s'entre-croisent ; on crie, on piaille, on se dolente; et les marchés ont l'air
de combats.
Là-bas, sur un des côtés de la place, des barres de fer maintiennent la poussée des
bœufs dont les ravineuses ossatures, émergeant d’un chaud brouillard, s’alignent par longues
files moutonnantes et qui, cornant, le mufle haut, mêlent leurs meuglements au vacarme
de la foire. Une senteur musquée d'étable monte de toute cette riche viande animale, parmi
laquelle rôdent, les semelles embousées, la lanière des triques enroulée à la main, les
bouchers rougeauds, supputant de l'œil les quartiers de chair saignante que le dépeçage mettra
sur l'étal. Au ras des trottoirs, d'innombrables véhicules, tombereaux, charrettes à ridelles,
cabriolets posent sur leurs brancards dans un enchevêtrement de jantes et d’essieux crottés
de glaise ; et. ce défilé de carrosserie rustique continue dans les rues circonvoisines, devant
les auberges où, tandis que leurs maitres, les fermiers räblés et douillards, lampent, en
renversant le torse, | «uitzet » frangé d'écume, les chevaux se ravigourent avec de pleines
auges d'avoine. Les ferments du houblon peu à peu surexcitent les cerveaux : des tables
montent de tonnantes hilarités: les affaires faites, chacun s gaudit à l'idée du gain conquis;
et de lourds biftecks, flanqués de pommes de terre, viennent réconforter la bonne humeur |