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260 LA BELGIQUE.
lésine d'un vieux luxe démodé. Seules, quelques têtes boucanées de bateliers, la belière
d'or aux oreilles, tranchent sur la placide et pâle bourgeoisie. L'extrémité de la rue s'achève
dans la campagne, à travers de vastes prairies qui se couvrent d’eau tous les hivers, et, le
gel venu, se transforment en lacs solides, sur lesquels descend la ville entière. A coups de
Datins, les hommes partent alors en bandes pour les villages voisins, une multitude de petits
traineaux à bras sillonnent la glace, et les grandes mantes de femmes, déroulées au vent
de la course, ont l'air de larges ailes ouvertes sur l'horizon. Le patinage est le complément
indispensable de la vie du bord de l'eau : quand la neige encombre les routes et que les
petits sentiers filant entre les prés sont inondés, le paysan s'attache aux pieds le long
fer recourbé à la mode hollandaise, et, d’un élan fendant la grande plaine, la pipe aux
dents et la hotte au dos, bat la contrée, court les foires, de ferme en ferme s'attarde
jusqu'à la vesprée.
Le train de Terneuzen. — Coin de village. — Le berger de Wachtebeke. — Tournées villageoises. — La potière. —
Le sabotier. — Les environs de Gand.
En route pour le Polder! Un petit train, composé de deux voitures seulement, quatre
bancs dans le sens de la longueur, l'une de première et l'autre de seconde classe, avec la
machine à l'avant de celle-ci, nous emporte sur la ligne de Terneuzen. Devant nous se
raidit un grand quinquagénaire osseux, la mine blafarde, laissant pendre sur son thorax
une barbe de bouc tortillée : c'est un tisserand de la campagne ; 1l nous dit que les
affaires sont tendues et qu'il est seul à nourrir ses huit enfants, sa femme Ctant morte
l'an dernier. Près de lui, deux marchands, un chapelet de brosses passées autour du cou,
dénombrent leur recette, et finalement, en ayant fait deux parts, insèrent la menuaille
dans un nœud de leur mouchoir et les pièces blanches dans un autre nœud, qu'ils ont soin
d'assujettir en tirant dessus de toute leur force.
À la descente de voiture, une chaussée plantée d'arbres nous mène au village où nous
sommes attendus. Des deux côtés du pavé, un sable profond et mou comme celui des dunes
borde des maisons aux courtils encadrés de haies de houx. Un grand troupeau de moutons,
avec ses « spiz » noirs courant sur les flancs, vient à nous; et dans le grand garçon super-
bement taillé, la tête ronde et petite accrochée à de fortes épaules, qui d’un geste lent,
magnifique, drape sur ses épaules la limousine aux longs plis, nous reconnaissons le fils
du berger de Wachtebeke.
Celui-ci, d’ailleurs, nous a aperçus par les trous de la haie : il lève les traverses de la
barrière et, la casquette à la main, nous reçoit avec cordialité, en nous montrant la maison
et nous disant : « Le pain et le fromage sont sur la table. Entrez. »
C'est une des bonnes fermes du pays. Sur le seuil, trois belles filles ont un joli sourire
gèné d'accueil, dans la buée chaude d'un énorme chaudron qui bout sur un fourneau de
pierre, près de la porte d'entrée, et les enveloppe comme un nuage. Les vaches, reniflant
la bonne odeur de betteraves et de pelures de pommes de terre rabattue par le vent au
ras des étables, poussent des meuglements doux en tirant sur leurs longes. Et à la file
nous pénétrons dans la pièce commune, d'un blanc de chaud éclatant sur lequel se détache
la polissure brune des bahuts et des chaises taillés en plein bois. |