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LA FLANDRE ORIENTALE. 269
joli pastiche d'hôtel de ville à pignons en briques rouges, et, l'instant d'après, nous pénétrions
dans Gand par l'un des porches du nouveau béguinage, toute une petite ville close de murs,
avec des rangées parallèles de maisons basses, silencieuses comme. des tombeaux.
IV
Gand. — Le passé, le présent, le permanent. — Gand paradis des fleurs. — Triomphe de Fhorticulture.
Un décor de féerie.
Gand à trois choses qui le rendent extraordinaire : ses béguinages, ses fabriques et ses
serres, c'est-à-dire trois mondes et aussi trois peuples distincts.
Dans les béguinages, une vie recueillie, sous l'aile palpitante des longues coiffes blanches,
semble perpétuer le passé, à travers un déroulement de petits oratoires, de cellules
claustrales, de longs couloirs vides, avec des christs saignants à tous les murs.
La fabrique, à côté, énorme comme un donjon, le vrai donjon de ce temps, multiplie
ses activités hurlantes, dans le tonnerre de ses machines ; pour se carrer dans son ampleur,
elle a fait table rase du passé, éventrant les vieux quartiers historiques ou simplement,
quand elle pouvait s'en accommoder, s'installant dans les ruines féodales, comme on le vit
autrefois pour le château des comtes. Vous verrez tout à l'heure ce qu'elle a fait de la
vieille ville, bousculant tout, asservissant à ses besoins d’envahissement les palais et les églises,
plantant au cœur de la cité ses hautes cheminées par dérision des pignons glorieux.
Ceci est le présent, la vie tumultueuse et pressée, un grand fleuve humain coulant par les
rues, des millions journellement enfournés au creuset de la fabrication. À de certaines heures
du jour, quand l'usine, comme un vomitoire, écoule ses houles d'ouvriers, Gand a l'air d'une
ville insurgée, courant aux barricades du pas redoublé de l’émeute.
Quittez cependant les centres populeux : aux enfers du travail, aux ronflements des
métiers, aux sifflements de la vapeur, à l’étourdissante rumeur du fer et du feu succède
la tranquillité d'une banlieue idyllique. Ce n'est pas que, sous celte placidité extérieure, les
activités aient cessé, mais elles s'appliquent à des élaborations mystérieuses, dans les sourdines
d'un travail sans hâte, dont la nature fournit les éléments. De quelque côté que se portent
les yeux, de grandes serres parallèlement alignées parmi les rectangles symétriques des
terrains livrés à la culture floréale, signalent les installations horticoles. Elles ont fini par
former à la ville une ceinture épaisse, s'étendant sur des milliers d'hectares. Là, chauffée
d'agents puissants, la terre fermente en une production sans trève, gestant une flore
merveilleuse dans l'espèce de coup de sang d'une sève tourmentée par le feu et l’eau. Des
forèts de végétations, des montagnes de floraisons, une poussée ininterrompue de troncs
solides comme le bronze et de tiges ténues comme le fil d’archal, y surgissent du sol
bouillant et gras.
Gand est l'une des grandes villes horticoles du continent. Chaque année, ses établissements
exportent par cargaisons les tulipes et Îles jacinthes, autrefois la gloire des jardiniers de
Hollande. Cette immense industrie de l'oignon en fleur, ils l'ont accaparée et développée
au point d'en posséder aujourd'hui le monopole incontesté. En mai, toute la contrée disparait
sous une mer diaprée, et, jusqu'à une lieue de là, le vent pousse au large des vagues d'aromes.
Demeurons un instant dans ce monde enchanté des fleurs : aussi bien, comme je l'ai
dit, nous touchons là non seulement à l'une des gloires, mais aussi à l’une des principales |