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970 LA BELGIQUE.
richesses de la vieille cité. Ce goût de lhorticulture ne date pas d'aujourd'hui : en 1696
un échevin de Gand, Guillaume de Blasere, avait des serres dont la renommée était universelle.
Si belles qu'elles fussent pour le temps, le digne homme qui y mettait son orgueil ne
pensait pas qu'il en naïîtrait plus tard par centaines, auprès desquelles les siennes ne seraient
plus rien. L'établissement Van Houtte, à lui seul, occupe tout un coin du pays, avec une
administration qui à sa hiérarchie, un personnel qui est une armée, cinquante serres, une
centaine de hangars et un périmètre de terrains où tiendrait à l'aise une colonie entière.
Aussitôt qu'on y pénètre, on a la perception d’un énorme laboratoire où s'active la génération
des espèces les plus magnifiques : toute une création monstrueuse et charmante de végétaux
touffus comme des forêts, déliés comme des filigranes, verruqueux comme des cuirs de
pachydermes, polis et satineux comme de la chair de femme, étend sous les voûtes vitrées
ses larges parasols, se déroule en grappes de fleurs, s'étire avec des allongements de reptiles,
colle aux parrois ses ventouses, développe ses ramifications pareilles à des tentacules, accroche
partout ses vrilles et ses griffes. Depuis les bambous, les bananiers, les caroubiers, les
palmiers de l’Inde, dressant leurs hauts piliers dans la clarté avec des airs de patriarches
et de guerriers, jusqu'aux chimériques fragilités des orchidées, l'épanouissement des flores se
prolonge de serre en serre, à travers l’innombrable série des métamorphoses, multipliant à
l'infini ses caprices et ses luxuriances.
Il y a des serres pour toutes les latitudes et toutes les familles ; et quelques-unes,
avec leurs rudiments de vague animalité où l'œil percoit des formes en suspens comme
l'ébauche d’un monde inachevé, ressemblent à des ménageries fantastiques, emplies d'une
pullulante et farouche faune, vautrée au ras des dalles en croupes ondulantes ou dardée en
mâchoires prêtes à broyer. Tels l'Ataccia cristata, pareille à une pieuvre, les Cycas aux
dards aigus comme des glaives, les bananiers d'Abyssinie, dont les feuilles géantes ont la
pesanteur d’une oreille d'éléphant; tels encore l'Euphorbia havanensis, étalant son ventre
d'énorme lézard bronzé, le Mamillaria avec son gonflement de mamelles superposées qui lui
donnent l'air d'une Isis végétale, et ces superbes fougères de la Nouvelle-Hollande, squamées
d'écailles à l'égal des sauriens et par surcroit éperonnées de dards assassins.
Aïlleurs, comme en des antres de mort, se gardent précieusement les plantes malfaisantes,
toutes rongées de pustules et gonflées de lait vénéneux, avec leur laideur de crapauds et
de scorpions. Toutes, il est vrai, ne sont pas sgalement squalides : quelquefois une éclatante
fleur, d'un carmin sombre, fait penser à la férocité pateline et dissimulée des belles em pol-
sonneuses. Les alchimies des Locustes n'approchent pas des meurtrières recettes au moyen
desquelles se distillent dans ces alambics naturels les sucs qui foudroient. C’est un lieu
de maléfices fait pour les pâles songeries du crime : il ny manque qu'un gibet, avec les
saltations d'un chœur de sorcières opérant ses sortilèges.
Les serres des broméliacées, des chrysophyllum et des lianes sont bien faites, d’ailleurs,
pour vous arracher à ces pensées tragiques : on y montrait, entre autres raretés, une liane
qui suspendait le long des vitrs ges l’arabesque d’une fibreuse et verte chevelure de près
de trente mètres de long. Vous traverserez ensuite des bois entiers d'orangers, d’étince-
lants parterres de camélias, d’éblouissantes plaines d’azalées, une magie de clartés lactes-
centes et rosées recommençant à chaque pas, dans la magnificence et la gaité d’une sorte
de paradis terrestre, Mais le chef-d'œuvre, dans ce défilé de merveilles qui ne laisse pas un
instant les yeux en repos, c'est peut-être la serre aux orchidées : l'art et la nature semblent
s'être ici accordés pour varier avec une indicible profusion la structure et la vie de la plante :
comme en une prodigieuse orfèvrerie, pour laquelle toutes les formes ont été requises, des
guillochés compliqués, des ciselures arachnéennes, des filigranes légers comme des souffles |