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Le beffroi de Gand
e beffroi de Gand est un monument vénérable
par son âge, et qui, à défaut d’autres qualités
architectoniques, possède une certaine majesté
d’aspect. Il est malheureusement couronné d’un
campanile en fer de fonte, imitant maladroitement la struc-
ture de la pierre, qui est une pyramidale insanité, un monu-
ment (peut-être impérissable, hélas !) de l’impéritie de nos
grands-pères dans les restaurations monumentales. Une chose
pourrait rendre un peu de charme à la tour massive et anti-
que que surmonte cette moderne chaudronnerie : c’est l’ouver-
ture d’une vingtaine de fenêtres en arcs pointus percées dans
ses flancs, et qu’obstruent depuis deux siècles des murs en
briques. Ce travail, qui aurait dû être fait depuis longtemps,
est sur le point d’être exécuté ; il est question aussi de rem-
placer les quatre vigies, qui se tenaient naguère aux angles
de la tour communale. C’étaient des hommes d’armes en
pierre bleue, datant du xive siècle ; on en conserve un, remisé
à l’abbaye de Saint-Bavon ; c’est un rude gaillard, sculpté
d’une manière sommaire et vraiment monumentale, qui a
toute la fierté que l’on attribue aux communiers gantois. Cette
belle sculpture a été publiée dans le Dictionnaire raisonné d'ar-
chitecture de Viollet-le-Duc et dans l’ouvrage de P. Delacroix,
la Vie religieuse et militaire au moyen âge. Espérons qu’on ne
négligera pas d’utiliser un pareil modèle dans la restauration
projetée.
Il est regrettable qu’on ne se soit pas inspiré de ce modèle,
ni des nombreuses données que fournissent les archives loca-
les sur les antiques hurlus du beffroi de Tournai, quand on
remplaça ceux-ci par des statues en pierre blanche, qui man-
quent, il faut bien le dire, d’ampleur et de style, malgré le
talent qu’ont pu y mettre les sculpteurs Dutrieux et Frison.
La tour du beffroi date du xive siècle. C’est ce qu’indiquent
le profil de ses rares moulures, ainsi qu’un compte de sa con-
struction, où l’on voit notamment, qu’entre 1320 et 1330, un
tailleur de pierre d’Antoing, nommé Jean Kerspel, y était
occupé.
Dans un ouvrage publié récemment sur l'Art à Tournai et les
anciens artistes de cette ville, nous avons exprimé l’idée que les
pierres ouvragées des monuments élevés dans le bassin de
l’Escaut, aux xiie et xiiie siècles, sont sorties taillées des vastes
chantiers que possédait alors la ville aux choncq clotiers. Nous
gardons cette conviction. Nous ajouterons que les tailleurs de
pierre tournaisiens se transportaient eux-mêmes dans la Flan-
dre pour mettre en œuvre leurs matériaux ; nous en avons ici
un exemple manifeste.
Pour en revenir au beffroi de Gand, sa tour haute et mas-
sive, à l’aspect rude et sévère, présente des murs de deux mètres
d’épaisseur, percés, nous venons de le dire, à chacun de ses
trois étages, et sur ses quatre faces, de deux fenêtres étroites et
élancées, qu’on a murées au xviie siècle.
M.;le conseiller Deneffe a saisi au mois de juin le Conseil
communal de la question de la réouverture de ces baies. Un
plan du beffroi, qui semble remonter environ à l'époque de
sa construction, montre ces fenêtres garnies de meneaux à
fenestrages rayonnants. Notons ici que le plan en question
indique que les gorges des moulures extérieures devaient être
peintes en vermillon. Cette polychromie extérieure était d’un
usage fréquent à Tournai, dont les églises en portent des
vestiges. Nous avons donné, dans le travail auquel nous fai-
sons allusion plus haut, un exemple d’édifice entièrement
décoré, à l’extérieur, de couleurs et de dorures.
L’architecte municipal, M. Van Rysselberghe, ayant fait
démolir quelques parties du remplissage des baies, a constaté
qu’elles se trouvent dans l’état indiqué par le croquis ci-contre.
1888
Fenétre du Beffroi de Gand
Coupe transversale
La moulure extérieure de la baie comprend deux boudins
munis de bases et de chapiteaux. Le boudin le plus proche
du parement extérieur fait le tour de l’arcade en arc brisé ;
l’autre, au contraire, ne se prolonge pas au-dessus du chapi-
teau et laisse à découvert un intrados plat, dénué de la rai-
nure, qui est habituellement ménagée pour recevoir soit un
fenestrage, soit un linteau.— Le seuil est plat, et M. Van
Rysselberghe le considère comme primitif; de l’absence
de toute trace sur ce seuil d’un meneau qui aurait partagé en
deux ouvertures la baie, large de Im4o, ainsi que des traverses
de fer ou barlotières, qui d’habitude relient pareil meneau
aux culées de la baie, il conclut que celle-ci n’a jamais été
dédoublée, et que son cintre était primitivement rempli par
un linteau posant sur les deux chapiteaux actuellement sans
fonction.
Nous signalons tout particulièrement à l’attention de nos
lecteurs ce problème archéologique d’un intérêt vif et actuel,
qui appelle les lumières de personnes compétentes.
Une autre hypothèse que celle de M. Van Rysselberghe
nous paraît plus conforme aux traditions architectoniques de
l’époque, mais serait, paraît-il, peu conciliable avec les faits
constatés; nous croyons toutefois devoir l’indiquer.
L’intrados de l'arcade go-
thique est dépourvu de rai-
nure. C’est là une circonstance
sur laquelle nous insistons tout
particulièrement ; car la rai-
nure eût été nécessaire pour
l’établissement d’un tympan
massif aussi bien que pour
la pose d’un fenestrage en
pierre. La particularité d’un
intrados plat semble indiquer,
au contraire, un remplissage
maçonné. Celui-ci aurait pu
être soutenu par deux petites
lancettes, encadrées du bou-
din intérieur prolongé, et
posant sur les chapiteaux dis-
ponibles et sur un meneau
central.
Il est difficile de concevoir
que ce meneau central, haut
de 5 mètres, ait pu avoir un
fût monolithe ; il est patent
qu’il n’a pas existé un meneau
appareillé, du moins à un
certain nombre de baies, qui
Froi de Gand
Coupe tranversale.
ne portent pas trace de traverses en fer, indispensables pour
les maintenir.
L’objection est sérieuse ; on en pourrait peut-être conclure
(1) Nous devons ces clichés à l’obligeance des éditeurs de la Revue de
l’Art chrétien, MM. Desclée-de Brouwer et Cie, qui ont bien voulu nous
autoriser à les publier avec l'article de M. Cloquet ; nous sommes heureux
de donner l’hospitalité de nos colonnes à celui-ci qui a déjà paru dans
cet excellent recueil.
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L’ÉMULATION.
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