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différence énorme. Copiez le Panthéon, a dit Vitet, copiez la
cathédrale de Reims, vous subirez la même influence : les modèles res-
teront sublimes, les contrefaçons feront pitié. Ce qui n’est juste qu’en
partie : parler une langue étrangère est difficile, se faire com-
prendre dans cette langue à un autre peuple est impossible ;
parler une langue vieillie et se faire entendre de la multitude
qui ne la parle plus est possible. On risque l’incorrection,
l’anachronisme, mais au moins on se fait encore comprendre.
Et puis de cette Renaissance de l’art national sortira un
art nouveau fait pour le climat, pour nos mœurs, nos usages,
nos coutumes, éloquent pour le peuple, lui redisant les fastes
et les gloires de son passé, la grandeur de son présent et les
espérances qu’une nation forte peut rêver pour l’avenir, mais
surtout rejetant le pastiche, s’inspirant des arts anciens pour
appliquer les mille ressources que la science et l’industrie
mettent au service de nos constructeurs modernes.
Voilà pourquoi nous applaudissons des deux mains à tous
les travaux qui ont pour but la renaissance de l’art national,
pourquoi nous regardons d’un œil indulgent ces gens qui
croient rénover à la fin de notre sceptique xixe siècle, ces
formules d’art disparu, et qui y voient un moyen de ramener
le monde vers des horizons évanouis. Nous ne partageons
pas leurs rêves, mais nous applaudissons à leurs efforts, car
nous avons la conviction qu’ils sèment pour d’autres moisson-
neurs que les leurs.
Vaillants ils vont proclamant l’excellence de l’art chrétien,
et de leurs courageux efforts naît dans notre monde artistique
une connaissance plus approfondie de l’art de ces contrées, ce
qui n’est que l’aurore d'un avenir brillant de promesses, celui
que formeront ceux qui, suivant la belle pensée de Vitet, ne
s’inspireront ni des formes antiques, ni des formes du moyen
âge, mais qui se pénétreront seulement de la pensée-mère qui
les engendra, pensée d’artiste et non d’archéologue.
Cela aurait pu servir de conclusion à ces lignes, mais puis-
que peu ménager de nos effets, voilà l’idée lancée, arrivons
sans plus tarder au magistral ouvrage de M. le chanoine
Reusens. Cela servira de phrase épigraphique!
Pour ceux qui aiment à suivre dans l’histoire de l’art cette
lente et continue transformation qui mène de la Rome des
catacombes à la basilique de Saint-Pierre de Montrouge, il y
a matière à réflexion, lorsqu’on voit, après la brillante efflo-
rescence de l’époque ogivale, la Renaissance renier toutes les
traditions d’austérité des siècles précédents, et venir prendre
tout son développement religieux dans ce que l’on est con-
venu d’appeler le « style des jésuites ». Adieu alors à ce style
sobre et sévère, vive le luxe de mauvais goût, les collages
monstrueux, les autels à ordonnance lançant dans les airs
leurs rayons dorés, leurs nuages de plâtre, leurs anges ou plu-
tôt leurs amours claironnant dans les airs l’hymne du mau-
vais goût.
Oublions tout le passé, semblait-on dire alors, faisons
riche, étonnons par notre luxe pompeux, attirons le peuple
dans nos églises-musées. A nous l’or, le marbre, les pierres
précieuses, que du haut de ces voûtes descendent les lourds
lustres d’or, que les autels s’élèvent splendides, saisissants de
luxe, éblouissants d’emphases, visibles à tous dès l’entrée de
l’église comme en un théâtral décor, que des stalles aux pro-
fanes statues décorent les murs du chœur, au luxe rehaussé
par la peinture et les dorures, mais pour cela, brisons ces clô-
tures massives, ces jubés qui cachent l’autel, que celui-ci
s’élève grandiose au milieu des senteurs de l’encens.
C’était là l’épanouissement de l’art religieux de la Renais-
sance.
La réaction vint.
A ces débauches succédèrent les styles plus exactement
romains, mais qui oublièrent davantage encore les traditions
de l’art chrétien.
Enfin avec le xixe siècle a commencé le retour vers les tra-
ditions anciennes, la rénovation des formules perdues.
C’est à ce moment que l’on s’est mis à étudier avec ardeur
les antiquités chrétiennes et que des vaillants comme de Cau-
mont et Viollet-le-Duc en France, Pugin en Angleterre et
Reichensperger en Allemagne ont lancé de par le monde la
bonne parole de l’art du moyen âge.
M. le chanoine Reusens, venu après eux,se borne à répan-
dre les connaissances qu’ils ont amassées et à semer les justes
notions de traditions oubliées même par ceux qui auraient
dû les maintenir.
Il ne faut pas croire pourtant que son livre ait les allures
claironnantes des écrits de Pugin et Reichensperger ; non,
l’auteur se borne à donner des détails exacts sans prêcher
pour l’avenir. C’est un théoricien et non pas un apôtre.
Les éléments forment d’ailleurs — comme dit l’auteur — le
résumé du cours d’archéologie qu’il fait depuis plus de vingt
ans à l’Université catholique de Louvain. C’est dire que ce
long professorat a nécessairement donné une allure didacti-
que à l’ouvrage ; sous le rapport littéraire, le livre manque
un peu de chaleur dans le style, mais c’est là péché mignon.
Souvenons-nous seulement que spécialement l’auteur a eu
en vue l’étude des antiquités religieuses de la Belgique. C’est
sous ce rapport là que nous conseillons l’étude de son ou-
vrage à nos lecteurs qui pourraient avoir à construire des
édifices du culte. Ceux-ci ont été bien mal compris dans cer-
taines régions de Belgique, et trop souvent dans nos campa-
gnes on arrive devant des églises, hybrides produits, vagues
réminiscences des styles français, allemands ou même anglais.
Pourquoi donc n’aurait-on pas aussi bien pu faire une église
tout simplement flamande. Les types ne manquent pas dans
nos provinces ; il n’y a qu’a les connaître, et alors, en place de
ces prétentieuses constructions, nous en aurions d’autres, plus
conformes aux traditions, aux usages locaux et surtout res-
pectant davantage les nécessités de notre climat, de nos ma-
tériaux indigènes.
Il en est de même pour les mobiliers d’église qui, eux, dans
certains édifices modernes, sont absolument grotesques.
Nous signalerons les socles polychromés que l’on trouve
en quantité dans nos églises et qui déparent souvent de beaux
ensembles par leurs criardes et hurlantes couleurs !
Est-ce donc si difficile de laisser au bois sa teinte naturelle ?
Voilà contre quels abus les gens de goût doivent réagir.
Pour les aider dans cette tâche, ils ne peuvent trouver de
meilleurs alliés qu’en des livres de science austère et juste
comme celui auquel nous sommes heureux de consacrer ces
lignes. P. S.
Monographie de l’eglise Saint-Clément de Tours, par
L. Palustre. — Notice historique par L. Lhuillier. —
Dessins par H. Nodet. — Tours, L. Péricat, éditeur. —
xv pl., fig.
Nous passions naguère dans les rues de cette vieille et
antique cité de Tours, toute aux souvenirs de son glorieux
passé, rêvant à l'Altionos, son ancêtre gauloise, à la Cœsarodu-
mum des Romains, sa seconde métamorphose, redisant encore
en pas mal d’endroits les fastes de saint Martin de Tours et
de ses successeurs.
C’est le cœur gros que de rue en rue, de carrefour en
carrefour, nous suivions les ravages de la fièvre de démolition
dont sont animées certaines municipalités françaises.
C’était ici l’antique abbaye de Saint-Martin, présentant ses
clochers de Charlemagne et de l’horloge comme des témoins
d’un passé de splendeur disparu; c’était là l’abbatiale de
Saint-J ulien et sa salle capitulaire convertie en écurie ; puis
encore d’autres monuments historiques ruinés, saccagés,
abandonnés.
Nous pouvons aujourd’hui ajouter à toutes ces ruines la
démolition de l’église Saint-Clément, renversée avant notre
passage à Tours pour faire place aux marchés couverts.
La démolition en avait été décidée en 1864, malgré lés
énergiques protestations de la Société archéologique de Tou-
raine, mais elle fut différée jusqu’en 1883.
Sacrifice retardé, la démolition est actuellement consommée,
et c’est chose triste à voir que d’examiner dans le magnifique
ouvrage auquel nous consacrons cette notice, ce qu’était cette
église Saint-Clément.
Il est inconcevable que, sous prétexte de nécessités vici-
nales, on détruise ainsi des monuments importants pour
mettre à la place ce qui se voit partout : des halles en fer, un
marché! Nous comprenons parfaitement que l’hygiène fasse
faire certaines démolitions ; mais en traçant les voies nou-
velles, n’y a-t-il pas toujours moyen de respecter les anciens
monuments au moyen de quelques accrocs donnés à la recti-
tude désespérante de nos rues modernes? Laissez-les donc
déborder sur vos alignements, au milieu de votre architecture
que l’on a appelée le triomphe du plat, laissez saillir l’angle
d’une vieille église ; au contraire, accusez l’accident, en entou-
rant l’édifice de verdure comme le font si bien les Anglais, et
ainsi vous romprez la sotte monotonie des cités modernes.
Mais voilà ! rien de tout cela ne vaudra auprès d’un sage
administrateur des choses publiques, une rue tracée au cor-
deau, bordée de cases à humains grises, froides et tristes en
leurs ordonnances, partout les mêmes, de maisons à loyer.
A Tours, à Orléans, à Rouen, nous avons constaté à notre
profond regret qu’il en était ainsi, et cela est surtout regret-
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L’ÉMULATION.
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