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CONSEIL DE PERFECTIONNEMENT
DE
L’ENSEIGNEMENT DES ARTS DU DESSIN
RÉPONSE AUX QUESTIONS POSÉES
PAR M. LE MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’INDUSTRIE
ET DES TRAVAUX PUBLICS
(ADMINISTRATION DES BEAUX-ARTS, SCIENCES ET LETTRES)
Reproduction ordonnée par le Conseil
(Suite.) — Voir col. 67
TROISIÈME QUESTION
Convient-il d'en adopter, dans l'enseignement supérieur des Académies,
pour initier les jeunes artistes aux principes généraux des applica-
tions de l’art aux métiers?
Le degré de prospérité des industries d’art est en raison
directe de la supériorité de leurs productions et de
l’originalité de leurs modèles. Le succès durable est réservé
aux œuvres conçues avec intelligence et à l’exécution
desquelles ont présidé le bon goût et le souci de l’économie.
Les expositions nationales et universelles le prouvent sura-
bondamment.
Réunir toutes ces qualités est un problème d’une solution
peu aisée et digne de l’attention de toutes les administrations
publiques, sincèrement préoccupées des intérêts de leurs
commettants. Aussi est-ce chez tous les gouvernements une
des questions à l’ordre du jour; c’est à qui déploiera le plus
d’activité et s’imposera les sacrifices les plus grands pour
s’assurer la prédominance non seulement sur son propre
marché, mais encore sur les marchés d’exportation.
Une statistique des plus intéressantes à cet égard est celle
qui nous fait connaître l’importance de l’exportation et de
l’importation des objets d’art et des produits d’industrie artisti-
ques, non compris celles du bois, pendant l’année 1887, leplus
récent sur lequel nous possédons des renseignements officiels.
Pendant cette période, l’Allemagne a importé chez nous
pour fr. 1,321,237, tandis que notre exportation vers ce pays
ne se chiffre que par fr. 374,485. L’Angleterre a importé, de
son côté, pour fr. 771,297, et notre exportation a été de
fr. 203,392. La France a importé pour fr. 2,433,923, et nous
y avons exporté pour fr. 2,i3i,535.
Enfin, ces trois pays avec onze autres Etats étrangers
donnent ensemble une valeur d’importation
s’élevant à...............................fr. 5,114,101 »
et une valeur d’exportation s’élevant à . . . 3,491,536 »
soit une différence de . . . . . . . fr. 1,622,565 »
en notre défaveur.
Ces résultats peu satisfaisants sont heureusement contre-
balancés par l’intense production de nos industries du bois :
meuble, menuiserie, parqueterie, etc., dont l’exportation
chiffre......................... . . . . fr. 3,355,3og »
et l’importation.............................1,924,559 »
soit à notre avantage.....................fr. 1,430,740 »
La situation vraiment brillante des industries que nous
avons citées en dernier lieu est principalement due à ce que
quelques maisons importantes ont de tout temps eu à cœur
de ne rien négliger pour l’exécution parfaite des travaux qui
lui sont confiés, et n’hésitent pas à s’imposer les plus grands
sacrifices, afin de maintenir la bonne réputation qu’elles se
sont acquise.
Et cependant, en ce moment, notre industrie du meuble
elle-même ne soutient pas sans peine la concurrence dé
l’étranger. Comment pourrait-elle ne pas se ressentir, par
exemple, de l’extension qu’a prise, en Autriche-Hongrie, la
fabrication et l’exportation du meuble, cette industrie qui, ainsi
qu il ressort d’un très intéressant rapport du consul belge,
devient de plus en plus florissante, grâce aux nombreux per-
fectionnements qu’un heureux esprit d’initiative ne cesse d’y
apportei ? N y aurait-il pas une comparaison saisissante à
faire entre cette prospérité et la pénurie de travaux, dont on
commence à se plaindre, dans certaines de nos principales
villes spécialement adonnées à la fabrication du meuble.
Quoi qu il en soit, il îésulte des chiffres que nous avons
cités que, malgré le solide appoint apporté par les industries
travaillant le bois, la valeur de l’importation des productions
artistiques en notre pays a dépassé celle de l’exportation de
ces mêmes produits d’une somme de fr. 191 825 durant
l’année 1887.
Cette situation économique est une véritable anomalie.
Comment! Notre pays situé en plein centre de l’Europe,
pourvu des moyens de transport les plus nombreux, en pos-
session d’un sol d’une fertilité exceptionnelle, d’un sous-sol
plus riche encore, habité par une population héritière directe
de ces anciennes corporations qui occupent une place si glo-
rieuse dans l’histoire de l’art, aux époques ogivales et de la
renaissance ; la Belgique est située pour marcher en tête des
industries d’art, et cependant, elle ne peut y prétendre suffi-
samment.
Cet état de choses n’est pas naturel, et c’est pourquoi les
moyens d’y porter remède ne sauraient manquer.
Un premier soin, important entre tous, serait de rendre à
nos industries d’art la haute considération à laquelle elles ont
droit, de les rétablir au rang qu’on n’aurait jamais dû ces-
ser de leur attribuer. Cela dépend surtout de l’autorité supé-
rieure ; aussi est-ce avec une satisfaction sincère que nous
avons vu le gouvernement prouver, une fois de plus, son
désir de favoriser ce mouvement, en appelant le conseil de
perfectionnement des arts du dessin à tracer un nouveau
programme d’études répondant à ces idées nouvelles ; de
même nous prenons acte de l’heureuse initiative qu’a eue
l’administration communale de la ville de Bruxelles, d’ac-
cord avec le gouvernement, en créant l’Ecole des arts déco-
ratifs, installée depuis quatre années.
Nos jeunes artistes ne se sont pas assez pénétrés de cette
vérité que les plus grands génies ont consacré leurs plus belles
inspirations à des œuvres relevant du domaine de l’Art déco-
ratif. Ils ne sont pas assez persuadés que les études du déco-
rateur ne le cèdent en rien, sous le rapport de l’importance et
de la distinction, à celles du peintre de genre ou du paysa-
giste. Celles-là ne comportent-elles pas autant de diversité et
ne nécessitent-elles pas autant de temps, de connaissances et
d’application que celles-ci. Imaginer une œuvre d’orfèvrerie
d’un type nouveau, objet qui doit réunir la beauté au confort,
est-ce le fait d’un artiste moins méritant ? Y réussira-t-il sans
le sens artistique, un talent sérieux, de la science, de l’érudi-
tion'? N’est-il pas moins aisé de concevoir et d’exécuter une
œuvre de valeur, dans un cadre strictement imposé, sur des
données fixes, en des conditions matériellement immuables,
que de réaliser au gré de sa convenance personnelle une
œuvre quelconque, quelque réussie qu’elle soit?
Du reste, la période de contemption, dans laquelle ont
langui les industries d’art et les arts appliqués, touche peut-
être d’elle-même à son déclin. Déjà nous avons vu des artistes
éminents, qui ne croient pas déroger, au soi-disant grand art,
en mettant leur talent au service de la décoration des appar-
tements, et y apportent autant de talent et de goût artistique,
qu’ils en consacrent à l’exécution d’un tableau ou d’une statue.
Y a-t-il d’ailleurs une seule raison qui légitime ce dédain
de caste que le soi-disant « Grand art » professe à l’égard de
l’art appliqué ?
De quel droit tronquons-nous le domaine radieux de l’Art,
où tout tend à s’enchaîner en un ensemble harmonieux, par
une subdivision arbitraire et illogique qui n’a même pas une
ligne de démarcation nettement établie? Ne serait-il pas
temps d’abandonner définitivement ces dénominations fic-
tives, impropres et surannées de « Grand art, Art décoratif »,
que nous continuons à maintenir moins par foi que par rou-
tine, et dont le respect outré a eu, de l’avis de l’éminent archi-
tecte Viollet-le-Duc — qui par sa haute position était on ne
peut mieux placé pour constater le fait, — une influence
néfaste sur le développement de l’Art en France.
Il faut aider nos jeunes artistes à surmonter leurs derniers
préjugés ou leurs hésitations ; il faut leur prodiguer les encou-
ragements ; et pour cela il est nécessaire que les pouvoirs
publics fassent connaître hautement l’estime légitime en
laquelle ils tiennent les arts appliqués, en instituant, à l’instar
des prix de Rome, du prix Godecharle, etc., de grands prix pour
ces branches d’études et des bourses permettant aux lauréats
d’étudier d’une manière approfondie, dans le pays même, ou
à l’étranger, une industrie d’art à leur choix.
L’union étroite de l’élément artistique et de l’élément pra-
tique dans l’étude des arts appliqués à l’industrie contribuera
pour une large part au relèvement général de l’Art en Belgi-
que. Il en résultera la création de ressources nouvelles pour nos
artistes et immanquablement un accroissement de notre trafic
commercial et une augmentation de notre richesse publique.
Enfin, nous croyons avec une parfaite assurance que l’édu-
cation artistique de nos futurs grands,peintres, sculpteurs et
architectes ne saurait en souffrir. Bien au contraire, ceux-là
de nos élèves qui se sentiront possédés du feu sacré, pour
atteindre le sommet de l’Art, loin de devoir sacrifier quoi que
ce soit de leurs nobles aspirations pourront s’y livrer d’autant
plus librement, qu’ils auront su apporter plus de discernement
au choix de leur carrière artistique.
QUATRIÈME QUESTION
Comment devrait être composée la liste des modèles moulés ou photo-
graphiés à donner pour cet enseignement spécial pour répondre aux
besoins des principales industries du pays ?
Nous croyons avoir suffisamment démontré par ce qui
précède, que les travaux à imposer aux élèves de nos
Académies et Ecoles de dessin doivent avoir un but net-
tement déterminé, essentiellement pratique, en corrélation
étroite avec les industries d’art. A ce point de vue, nous atta-
chons un intérêt capital à l’étude des modèles.
L’élève travaille pour s’éclairer le goût et acquérir de l’habi-
leté; il lui faut des modèles susceptibles de captiver son
attention et d’agir efficacement sur son entendement, pour
Juin 1893.
N° 6.
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L’ÉMULATION.
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