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Anhitectus Substruxit; qu’au théâtre de Pompéi enfin, on lisait
cette inscription : Martorius. M. L. Primus. Anhitectus » (1).
Et si, à côté de ces faits probants, il faut citer, d'après Dion
Cassius (2), l’empereur Tibère défendant, par jalousie, d’ins-
crire, dans les actes publics (3), le nom d’un architecte qui
avait redressé un portique déversé, ou ce que l’empereur
Julien disait de ces constructions élevées aux frais du public
et que des ouvriers fondent et achèvent pour qu’un magistrat,
qui n’a fait que blanchir le mur, y inscrive son nom (4) ; ou
encore ce que Lucien rapporte du stratagème employé avec
succès par Sostrate de Cnide, l’architecte du phare d’Alexan-
drie, pour faire passer son nom à la postérité (5), et surtout
enfin ce texte inséré au Digeste par le juriste Æmilius Macer,
sous l’empereur Alexandre Sévère : « Qu’il n’est permis qu’au
prince ou à celui qui a fait les frais de la construction d’un
édifice d’y inscrire son nom (6) ; on nous permettra de rap-
peler qu’au moment même où s’écroulait le monde ancien et
où commençait le monde moderne, les auteurs byzantins offi-
ciels nous conservaient, avec les noms des empereurs Justinien
et Justin II, les noms d’Anthémius de Thralles et des Isidore
de Milet, les architectes de l’église Sainte-Sophie de Constan-
tinople (7), et que Cassiodore, le secrétaire du roi goth
Théodoric, écrivant, au nom de son maître, à l’architecte
Aloisius, à Ravenne, à l’occasion de la réparation des thermes
et d’autres édifices de la Rome ancienne, terminait les recom-
mandations qu’il adressait à cet architecte et à Symmaque,
préfet de la ville, par ces mots qui montrent bien toute la
considération dont n’avait cessé de jouir l’architecte, même à
cette époque réputée barbare : « Ce n’est pas un emploi de
peu de conséquence qu’on vous confie, puisqu’il vous oblige
de remplir, par le ministère de votre art, le désir ardent que
nous avons d’illustrer notre règne par des monuments nou-
veaux... Quel emploi plus honorable, quelle fonction plus
glorieuse que celle qui vous met à portée de transmettre
aux âges les plus lointains des monuments qui vous assure-
ront l’admiration de la postérité !... Remarquez encore quelles
sont les distinctions dont vous êtes décoré : vous marchez
immédiatement devant notre personne au milieu d’un nom-
breux cortège, ayant la verge d’or en main, prérogative qui,
en vous rapprochant si près de nous, annonce que c’est à
vous que nous avons confié l’exécution de notre palais (8). »
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Pour le moyen âge, dont l’érudition moderne nous révèle
complètement la civilisation trop longtemps méconnue, ce
fut peut-être l’époque où l’architecte, appelé le maître de
l'œuvre, titre qui lui convient si bien, vit affirmer hautement,
au moins pour les édifices religieux, la grande place qu’il
occupe à la tête des innombrables ouvriers, collaborateurs
de l’édifice : aussi peu d’exemples, tant ils sont convaincants,
suffiront-ils pour montrer comme le nom de l’architecte était
alors attaché à son œuvre.
Robert de Luzarches, Thomas et Régnault de Cormont,
les premiers architectes de la cathédrale d’Amiens, avaient
leurs noms inscrits en lettres de cuivre dans le labyrinthe
gravé au milieu du pavage de la nef de cette cathédrale, non
loin des effigies de bronze des prélats fondateurs ; la tombe de
Libergier, autrefois placée dans l’église Saint-Nicaise de
Reims qu’il commença, a survécu à la destruction de cette
église et fut portée dans une chapelle de gauche de la cathé-
drale de Reims, où on la voit encore aujourd’hui ; les archi-
tectes de la cathédrale de Strasbourg et de nombre d’autres
sanctuaires rhénans avaient leurs dalles tumulaires dans un
enclos dépendant de la maison de l’œuvre, maison qui, leur
vie durant, avait été leur atelier de travail ; enfin Pierre de
Montreuil reposait, avec sa femme, dans le chœur de la cha-
pelle de la Vierge de l’abbaye royale de Saint-Germain-des-
Prés, qui passait pour son chef-d’œuvre (g), et le souvenir de
Mathieu Fernandez, le maître des œuvres de Notre-Dame de
Bathala (Portugal), en 1515, était rappelé à la fois par une
dalle tumulaire à l’entrée de l’église et par un corbeau de
pierre reproduisant ses traits dans la salle du chapitre (10).
En outre, nombre des édifices de cette époque étaient
signés des noms de leurs auteurs, et Viollet-le-Duc a pu écrire,
à propos de Jehan de Chelles, qui construisait en 1257 les
deux pignons du transept de Notre-Dame de Paris, que « la
grande inscription sculptée en relief sur le soubassement du
portail sud, par la place qu’elle occupe et le soin avec lequel
on l’a exécutée, fait ressortir l’importance que l’on attachait
alors au choix d’un homme capable et le souvenir que l’on
tenait à conserver de son œuvre (11) ».
(1) Emile Mallay, ouvrage cité, p. 164.
(2) Trad. Gros : Tibère.
(3) D’après Victor Leclerc, Rome possédait des journaux reproduisant
les actes officiels inscrits, dans certains temples, sur des tablettes
d'airain.
(4) Les Césars, trad. Eug. Talbot, XX, Paris, 1863, in-8°, p. 27g.
(5) Comment il faut écrire l'histoire, 63, trad. Eug. Talbot, Paris, 1866,
in-12, t. I, p. 37g.
(6) L. 10, 3, De operious fiublicis; Inscribi autem nomen operi publico
alterius quam principis, aut ejus cujus pecunia id opus factum sit, non
licet.
(7) Corpus scriptorum Historia Byzantine, Bonna, pl. in-8°, années 1837
et suiv.
(8) Varice, VII, 5, trad. Quatremère de Quincy, Encyclopédie méthodique,
architecture, I, p. 103 et suiv.
(9) Viollet-le-Duc, Dictionnaire de l’architecture française, Paris, 1867,
in-8°, t. I, pp. 109-112.
(10) Da Silva, Paul Sédille et Ch. Lucas, Etude sur quelques monuments
portugais, Paris, 1881, in-8°.
(n) Viollet-le-Duc, ouvrage cité, t. I, p. m.
Nous ne pouvons cependant résister au désir de vous citer
deux inscriptions, celle de Benedetto Autelami et celle d’Ar-
nulfo, inscriptions qui se lisent toujours sur le baptistère de
Parme et sur le campanile de la cathédrale de Florence, dont
elles fixent la date de commencement des travaux (1), et vous
me permettrez de vous dire que cette tradition d’attacher le
nom de l’artiste à son œuvre n’est pas encore entièrement
perdue de nos jours, car j’ai pu lire, en 1884, dans la cathé-
drale de Cantorbéry, sur une dalle tumulaire posée en 1848,
une inscription qui se peut traduire ainsi : a A la mémoire de
George Austin, architecte, qui dirigea les travaux de restauration de
cette cathédrale pendant de nombreuses années. — Le doyen et le cha-
pitre de Cantorbéry, en gracieux souvenir de ses longs et consciencieux
services, ont fait placer cette inscription dans la tour nord-ouest de la
cathédrale, qui fut commencée et achevée par lui. — Il mourut le
26 octobre 1848, âgé de 62 ans. » (2).
Ce n’est pas en Italie et devant un auditoire de savants
réunis pour discuter les questions d’art, qu’il peut être
utile de rappeler combien les Etats italiens de la Renais-
sance, suivant en cela l’exemple des cités grecques, hono-
rèrent leurs artistes et combien aussi ces mêmes artistes
étaient recherchés et honorés aussi bien dans leurs propres
cités que dans les cités voisines ainsi que dans toute l’Europe
civilisée, depuis la fin du xve siècle jusqu’à la fin du xviie et
même au milieu du xviiie siècle, depuis Aristotile Alberti
jusqu’au comte Rastrelli à la cour de Russie (3), et du Prirna-
tice au cavalier Bernin à la cour de France (4). Les archives
de la cathédrale de Milan ne nous ont-elles pas conservé les
noms de cent vingt-trois maîtres, venus de pays divers, qui furent
appelés pendant la construction de ce remarquable édifice (5);
des négociations diplomatiques, rappelant celles qui avaient
eu lieu, mille ans avant notre ère, entre Salomon et Hiram
de Tyr, pour la construction du temple de Jérusalem (6), ou
celles qui eurent lieu au commencement du xiiie siècle entre
un chapitre suédois et le prévôt des marchands de Paris pour
la construction de la cathédrale d’Upsal (7); n’eurent-elles
pas lieu entre les princes et les républiques de l’Italie, ou
entre ceux-ci et les cours étrangères, pour permettre aux
grands artistes dont l’Italie est fière à bon droit de s’expatrier
momentanément et d’aller ajouter la grâce de la Renaissance
italienne au charme des Renaissances flamande et française ;
enfin, ne voyons-nous pas pendant trois siècles, les plus
grandes marques de considération accordées aux architectes,
non plus seulement par d’honnêtes chapitres religieux ou par
d’éminents prélats, mais par les souverains les plus absolus,
les plus jaloux de leurs prérogatives, tels que Louis XIV fai-
sant Jules-Hardouin Mansart chevalier de l’ordre de Saint-
Michel, comte de Sagonne, et honorant de plus son château
de Sagonne de sa visite (8).
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Si l’on recherche bien, au reste, notre époque contempo-
raine n’a pas autant refusé qu’on semble le croire à l’architecte
le droit ou l’autorisation d’inscrire, en place plus ou moins
apparente, son nom sur l’édifice dû à son talent; en outre,
les édifices importants sont l’objet de concours publics, entou-
rés d’une grande publicité et qui font connaître à tous le nom
de l’heureux lauréat; de plus, il nous serait facile de citer
d’assez nombreux exemples d’architectes qui, comme notre
regretté confrère M. Bailly, firent placer leur nom sur les
tables commémoratives des édifices dont ils ornèrent leur
ville natale (9); enfin, nous pouvions écrire récemment, et
c’est par là que nous terminerons cette étude, que « justes
hommages rendus à des maîtres en France, le buste de
Bachelier décore une des salles du Capitole de Toulouse; la
statue de Louis a été inaugurée, il y a peu d’années, dans le
vestibule du Grand-Théâtre de Bordeaux; les bustes de Félix
Duban, d’Henri Labrouste, de Louis Duc et de Théodore
Ballu ornent ou doivent orner une des salles de l’Ecole des
Beaux-Arts, de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, du Palais
de Justice et du nouvel Hôtel de Ville de Paris; qu’enfin, à
Londres, la statue de sir Charles Barry s’élève au pied de
l’escalier donnant accès au public dans les salles des comités
(1) Baptistère de Parme :
Bis binis decemptis annis de mille ducentis
Incepit dictus opus hoc sculptor Benedictus.
Cathédrale de Florence :
Annis millinis centu bis otto noginis
Venit legatus Roma bonitate dotatus
Qui lapidem fixit tundo simul et benedixit
Presule Francisco gestanti pontificatum
Istud ab Arnulfo templum fuit edificatum
(2) Ch. Lucas, l’Institut royal des Architectes britanniques, Cantorbéry,
Londres, Paris, in-8°, 1885.
(3) St. Ticozzi. Dizionario degli architetti, etc., Milano, 1831, in-8°,
fasc. 1. — Svinin. Description de Saint-Pétersbourgh, 1816-1828, 4 vol. in-8°,
II, p. 139, et III, pp. 61 et 85.
(4) Depping, Correspondance administrative sous le règne de Lotus XIV,
Paris, 1855, in-40, t. IV, passim.
(5) Franchetti, Storia e Descrizione del duomo, Milano, 1824, in-40,
passim.
(6) Fl. Josèphe, Antiquités judaïques (Panthéon littéraire), Pans, m-8°,
passim.
(7) Diplomaticum Suecanum, Stockholm, 1828,411-4°, t. II, p. 32-33.
(8) Voir le portrait de J.-H. Mansard, par Vivien, gravépar Edelinck,
et aussi A. Lance, Dictionnaire des architectes français, Paris, 1872, 2 vol.
in-8°, t. II, pp. io3-ii2.
(9) Tribunal de Commerce et Mairie du IVe arrondissement, à Paris.
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L’ÉMULATION.
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