Full text |
90 LA BELGIQUE.
universel. Une forêt d'arbres a poussé à travers Îles joints des pierres descellées, balançant
ses ombres sur la nudité des nefs; et le tortillement des racines enchevêtre, autour de ce
qui persiste des chapiteaux, une complication de mouvants reliefs, qui semblent par moments
faire bouger l'énorme construction. Ainsi, la nature a repris petit à petit possession de Ja
demeure des hommes, faisant fleurir sur ses ruines des gerbées de ravenelles et de
saxifrages et criblant l'obscurité froide des arceaux d'un étoilement de lumières.
J'ai vu, depuis, les neiges de l'hiver succéder sur la sombre abbaye aux rousseurs chaudes
de l'automne; j'ai vu disparaitre sous un linceul blanc ses füts découronnés, où des nuées
de corbeaux faisaient un fourmillement noir ; et puis je l'ai revue, à travers l’aveuglante
clarté des midis d'été, mêlant à l'allégresse des choses comme une chaleur sourde de
renaissance, ses solitudes bourdonnant dans les souffles tièdes de l'atmosphère, son cloitre
remué d'une palpitation continue d'ailes, l'orée de ses souterrains tremblant sous l’oscillation
lente des floraisons, ce néant d'ossements et de débris pris du tressaillement de la germination,
tandis que là-haut, de toutes ses fenêtres changées en lyres et de tout son vaisseau transfiguré
en orgue, l'église, droite dans ses chapes comme un prêtre officiant devant l'Éternel, semblait
entonner un prodigieux hosanna. Je n'ai pu oublier ce long piétinement aflolé de la fête
wallone sur les tombes. Dans le cimetière qui s'adosse au temple, des robes éclatantes
tournoyaient, et la ronde continuait dans l'église, le cloitre, le réfectoire, les cours, enlaçant
de ses grappes bondissantes les tronçons gisants, culbutant les antiques sculptures sacrées,
indéfiniment prolongée sous l'évidement des ogives.
Nous cherchämes un peu de solitude en montant à la léproserie, maconneries informes
envahies par les mousses, sur le flanc d'une roche hérissée de broussailles. Robermont
s'escarpait au-dessus : c’est là, dit la légende, que saint Bernard, avant de quitter l'abbaye,
en 1147, planta son bourdon, duquel sortit un chêne.
Lentement le ciel s'estompa dans le gris crépusculaire, et l'ombre s'élargit au bas des
piliers de l'église. En ce moment une illumination pailleta de ses flambées de pots à graisse
ct des lueurs sourdes de ses lanternes vénitiennes les entre-colonnements envahis par la nuit.
Sur la pelouse, l'orchestre précipitait ses rythmes, les danseurs tourbillonnaient dans des
rougeurs de torches ; et, par intervalles, des fulgurations vertes et roses montaient dans
l'air, éclaboussant les grandes architectures sombres, comme le décor d'une féerie gigantesque.
Un instant les ruines parurent se transformer en brasier ; une pluie d'étoiles s'abattit sur
les voüles, tandis que les fusées décrivaient leurs trajectoires ensanglantées, et tout à coup
l'on ne vit plus qu'une vaste nappe immobile de clarté lunaire, où quelquefois passaient des
couples silencieux.
X
Vestiges historiques. — Le pilori de Braine-e-Château. — Retour au pays flamand. — Hal et son pèlerinage.
Les ruines de Villers ne sont pas les seuls restes historiques du Brabant. Non loin de
520 ie : PEN PA | AV se an : ere ; æ ù
Braine, entre Hal et Nivelles, le touriste ne manque pas d'aller visiter, dans le petit village
de Braine-le-Château, un pilori dressé au milieu de la place et faisant face à une rangée
de maisons modernes proprement badigeonnées, dont l'une, qui sert de lieu de réunion à la
société des fanfares de la localité, s'historie de cette enseigne pacifique : A Sainte-Cécile. Le |