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LE BRABANT. 89
À quelques heures de marche de la ville de Pépin se dressent, au milieu des bois,
les ruines d'un autre cloitre, qui, tout aussi bien que celui de Nivelles, évoque la splendeur
des ordres religieux dans le passé.
Je n'oublierai jamais le souvenir d'une fête prolongée jusque dans la nuit parmi ces
mélancoliques débris. Par deux fois nous avions escaladé des raidillons, au flanc de ces
bosses qui boursoufflent si étrangement, en de certains endroits, l'échine de la campagne
brabançonne. Nous allions sur Villers, dont l'abbaye est une tentation à laquelle ne
résistent jamais les amis des solitudes ; c'était notre première visite; et par avance nous
escomptions les sensations attirantes des lieux auxquels s'est attachée la vie d'une humanité
antérieure. Derrière nous, Bousval avait décru, avec ses larges murs de ferme et sa
chevauchée de maisonnettes étagées autour de l'église, sur le versant d'une colline.
Doucement le sentier que nous suivions s'enfonçi dans les taillis, sous une voûte verte
trouée par les bleus étincelants d'un ciel d'été. La masse des feuillages bruissait d'un
gazouillement ininterrompu, comme une volière. Tout-à-coup des sonorités cuivrées, étouffées
par la distance, traversèrent la douceur de ce concert; et à peine avions-nous fait un
quart d'heure de marche qu'un orchestre, encore
saché, nous foudroya de ses décharges. Les merles
cependant continuaient à siffler, tandis que les
palombes roucoulaient, et le bois, même à travers
le bruit, gardait son air tranquille.
Le chemin maintenant dévalait; nous descen-
dimes la pente, écoutant graduellement grossir
dans les feuillages cette marée de musique à
laquelle se mêlait une rumeur humaine. Bientôt
nous discernâmes des rires, des cris, des chants,
les cadences ralenties d’une valse ; un villageois RUINES DE L'ABBAYE DE VILLERS.
qui nous croisa au bas de la butte nous dit qu'il y
avait fête aux ruines. Je me souvins alors du retour annuel de cette partie de plaisir à laquelle
le pays wallon se rend en foule, le premier dimanche d'août. Nous avions marché plusieurs
heures à travers champs pour nous isoler dans la mort, et nous tombions dans les grosses
sensualités d’une ducasse.
Le hasard voulut que la première personne que nous renconträmes dans la vieille
auberge Dumont, dépendance démeurée debout de l'abbaye, avec de vastes salles voütées
et d'interminables corridors où survit l'impression des cloitres, fût un ami, débarqué
avec trois dames. La petite porte S’ouvrit sur un mot de passe, qu'il coula à l'oreille des
commissaires gantés de blanc et portant un brassard frangé d'or, insigne de leurs fonctions ;
et tout d'une fois nous fûmes enveloppés d'un flot de toilettes claires et de blanches
épaules découvertes. On dansait dans la grande cour, celle qu'on appelle encore la cour
d'honneur et qui est bordée par létonnant décor des murs du réfectoire, tailladés et
chevelus. L'orchestre s'entassait dans un petit kiosque, au milieu de la houle des dos dont
le moutonnement se prolongeait Jusque sous les arceaux des cours, dans la reculée.
Un soleil caniculaire poudroyait sur les pierres effritées, de là réverbéré sur des visages
allumés par la danse ou mollement détendus dans une moiteur brillante. À peine un peu
d'ombre descendait des maigres arbres plantés dans le terre-plein, rayant d'une pâleur
lilas les gazons pelés. Au long des constructions; près du logis démantibulé où l'économe
rangeait la recette quotidienne au fond de ses coffres, des tables avaient été dressées,
régulièrement prises d'assaut par les danseurs qui sy abattaient, exténués et suants, après
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