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LE BRABANT. 19
chiens. les oiseaux, les clients eux-mêmes ne résistent que difficilement à l'influence du
sommeil universel. Vous y verrez les pipes, retirées des lèvres à temps mesurés, se fumer
en de courtes bouffées régulières, comme si ce mouvement était seandé par le tic-tac de
l'horloge, les verres se consommer par gorgées lentes, les cartes s'abattre sur le tapis par
gestes insensibles qui ont l'air de continuer un songe intérieur plutôt qu'ils ne participent
de l'action.
En regard de ces réunions, il en est d'autres, d'une circulation de vie mouvante et rapide,
où la sève abonde, où les idées neuves et jeunes prennent leur essor, où s'accélèrent les
pulsations de l'organisme national. Presque toujours une société, constituée soit pour le
plaisir, soit pour la défense de principe ou d'intérêts définis (et le chiffre des unes et des
autres est considérable dans ce pays dont l'association constitue l'un des prineipes essentiels),
choisit un estaminet pour y établir son local et y tenir ses séances: de mème les meetings,
les conférences, les assemblées pour délibérer sur les actes publies s'installent de préférence
dans le voisinage des pompes à bière. C'est là que se complotent la ruine et le triomphe
des ministères, que se façconnent les fortunes politiques; c'était de là que partait en 1850
le signal de la révolution.
Une infinité de petites institutions prospèrent à l'entour : caisses de prévoyance el
d'économie, cercles littéraires et dramatiques, clubs politiques, sociétés philanthropiques, ete.,
toujours nuancés d'une idée de plaisir qui attire les adhésions, fait abonder les souscriptions
et conquiert l'assentiment des femmes.
Dans peu de pays l'association est aussi étendue et aussi efficace : les ouvriers s'unissent
entre eux, ont un local spécial, font des tontines, comme à d'autres degrés les bourgeois,
les commerçants, les industriels, les militaires, les artistes ; et les sommes réunies servent
soit à des excursions, à des banquets, à des parties Joyeuses, soit à des intérêts communs
où à des initiatives fructueuses et charitables.
Les confréries, les serments, les clubs sportiques, les sociétés qui se proposent un art
ou une industrie définis, celles qui nont en vue que le plaisir, d'autres qui s'attribuent un
but charitable, fraternisent également dans des agapes. L: malice et la farce n'en sont pas
toujours absentes : il en est une qui, tous les ans, au printemps, opère en masse une sortie,
se répand dans une kermesse de village voisin et exerce vigoureusement ses mandibules,
sous prétexte de chasser le hanneton : un clairon précède ces héros pacifiques en sonnant
une fanfare militaire ; la petite troupe suit au pas, sur des files militairement alignées, en
blouse bleue et pantalon blane, le dos battu par un vasculum. Telle autre amasse des capitaux
en vue de la propriété, terre ou maison, bâtissant quelquefois celle-ci à bras communs; et
ce capital, gagné par l'épargne de tous, devient alors un revenu assuré pour chacun. Les
jeunes gens organisent des caisses pour fêter gaiement les jours du carnaval, faire un voyage
à la Meuse ou au Rhin, jouer la comédie sur un petit théâtre de la banlieue, monter des
cavalcades, participer à des réjouissances publiques.
L'initiative privée se développe ainsi dans mille occasions ou Faction du pouvoir fait
défaut : c'est tantôt une représentation ou une fête de nuit au profit des pauvres et des
crèches, tantôt un défilé de sociétés de musique, où bien un cortège moyenageux accompagné
de collectes dont le produit se répartit entre des fondations ou des collations de secours;
et rien négale l'émulation, le dévouement, l'ingéniosité qui se révèlent de toute part. Il
faut avoir assisté, pour en juger, à une de ces fastueuses promenades de chars et de
cavaliers, lâchés par les rues comme une mendicité tolérée, toutes les mains tendues vers
la foule, avec des filets, des sacs, des cassettes qui finissent par s'emplir, grâce aux
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