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10 LA BELGIQUE.
écoulée entre le cabaret, la boutique et l'église. On le reconnaissait à sa face pâle . rasée,
à sa charnure épaisse, aux proéminences de son estomac, à la rente un peu bouffe de sa
personne. Le Jour entier dans son jardin ou derrière son comptoir, on le drap ou
échenillant ses arbustes, il ne sortait qu'à l'heure des offices, entre chien et loup, et un
peu plus tard allait battre sa partie de cartes à l'estaminet, en famant sa RTEUE pipe de
Hollande, autour d’une table où ses partenaires et lui consommaient de la bière, dans des
verres à couvercles d'étain.
C'était la régularité d'un bien-être monotone, coupé par des repas de société, avec des
aises de grosse ie animale. Bon catholique, il participait à toutes les neuvaines et à
toutes les octaves, s'honorait d'appartenir à une confrérie et presque toujours, en outre,
était affilié à quelque Serment, ces antiques milices bourgeoises jadis exercées pour la
bataille et aujourd'hui dégénérées en simples réunions de sport et de plaisir.
Il existe au musée de Bruxelles un tableau où le peintre a représenté l'infante Isabelle
abattant le papegai devant les membres du Serment réunis: elle savait bien, la rusce
princesse, que rien ne pouvait flatter l'amour propre de son peuple comme cette condes-
cendance à se mêler à l'un de ses jeux favoris. Le noble jeu du tir n'a pas cessé de
passionner le vrai Bruxellois : même en ces temps pacifiques, il aime encore à se rendre,
les jours de frairie, dans les prairies qui avoisinent la ville et à y lancer une volée de
grosses flèches avec l'espoir d'être proclamé roi et de gagner les couverts d'argent qui,
presque invariablement, constituent le prix de la joute.
I faut se rappeler la Jovialité brabançonne pour se rendre compte de l'animation de ces
parties, où Les cris, les rires, le cliquetis des verres résonnent pendant que, obèses et
tapus, lun après l’autre, les rivaux bandent à la force des poings leurs énormes arcs :
la corde se tend comme un câble et tout à coup fait siffler la flèche qui part droite,
rapide comme l'éclair, effleure le but, oscille lentement dans l'air, puis retombe, et
d'autres fois, mieux projetée, va culbuter d'un coup sec le versicolore oisillon huché à la
pointe du mât. Naturellement, l'instauration de chaque roi est accompagnée de promenades
tiomphales, de tournées de bière et de grands banquets où le sacre se consomme au
bruit des fourchettes.
Le tir au berceau n'excite pas moins d'enthousiasme; nombre de vieux cabarets de la
ville possèdent une allée droite, palissadée de planches et prolongée sous une voûte de
verdure de li le nom de berceau — avec, de distance en distance, des arcades
figurant une perspective de portique. L'ombre des feuillées persille les faces rougeaudes
des tireurs qui, au frais sous la charmille, par la touffeur des après-midis estivales,
alternent avec le maniement de l'arc ou de l'arbalète les lampées à plein gosier des
grandes chopes écumantes. Autant de locaux d'ailleurs, autant de sociétés ; chacune a son
bedeau, ses coutumes, son patron particulier,
promène . par les rues un étendard où l'or
et l’émeraude des velours.
et, les jours de réjouissances publiques,
fleurit en arabesques tortillées sur le grenat
À ces jeux, qui sont le partage du bourgeois aisé, s'en adjoignent d'autres, plus
Spécialement réservés au peuple, les quilles, le palet, le jeu de balle. En même
temps que la nature du match, le prix varie : des victuailles, un jambon fumé
remplacent ici les argenteries massives. Mais toujours nous voyons reparaître au
bout de ces réunions les agapes substantielles, le coup de dent à travers le
débridé, une sorte de noce de
et doit
rire
Gamache qui fait partie des félicités de la vie flamande
CoOMmpler parmi les ravissements de son paradis. Tout ici, d’ailleurs, est prétexte |