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LE BRABANT o1
gaieté brabanconne particulièrement tranchait sur la gravité un peu pesante des patriotes
d'Alost. d'Ostende,’ de Courtrai, de Bruges et de Gand; elle chantait à travers la
mousqueterie Ce refrain ailé qui s'entend à chaque page de l’histoire, ajoutant ses quolibets
au défi des balles. Une jovialité de kermesse se mêle, en effet, à ce patriotisme lâché
par les rues, avec une débandade de gros instinets; les citoyens débraillés qui se ruent à
l'assaut ont des bravades de gens sortant de table et le sang se verse comme les verres
se remplissent, entre des rires interminables et des coups de gueule rabelaisiens. C’est le
débordement d'une race comprimée par deux régimes successifs et dont la vie endormie
brusquement se réveille dans une révolution qui a l'air d'une émeute et dans des coups
de main magnifiques comme des iliades.
Pendant que les bras manœuvraient, les cerveaux ne demeuraient pas inactifs : la
désorganisation grandissante des lignes hollandaises avait pour complément l'organisation
d'un gouvernement provisoire. Il sest trouvé, dans cette Belgique trop légèrement qualifiée
d'apathique, des hommes de conseil supérieur et de décision rapide qui, au bruit des
fusillades, sous la pluie des boulets, surent tout à la fois pourvoir aux mille nécessités
de la défense, parer à l'anarchie, édicter des lois et jeter les bases d'un État stable,
parmi l'universelle effervescence d'un peuple soustrait à toute espèce de frein. C'est cette
graine première qui, petit à petit germée dans un terreau arrosé de sang, à fini par
s'épanouir sous la forme du gouvernement constitutionnel, avec une large ramification de
droits faisant le citoyen libre dans l'État libre.
Les événements qui suivirent sont trop voisins de ce temps pour avoir besoin d'être
rappelés : on sait que le trône fut offert à Léopold de Saxe-Cobourg, et que ce prince,
prévoyant une grande nation en ce petit peuple prodigue de son sang, l'accepta; on
sait aussi que, le nouveau royaume à peine institué, le prince d'Orange et le prince
Frédéric, au mépris de l'armistice provoqué par le roi leur père, envahirent le sol une
première fois libéré; on sait enfin que la France, amie généreuse et fraternelle, envoya
le maréchal Gérard à la tête d’une armée pour aider la Belgique à se débarrasser de cet
opiniâtre ennemi. Ce fut la dernière convulsion; après quoi l'État jeune et sain, pareil à
un COrpS YIgOureux, prédestiné à se développer indéfiniment, se mit à prospérer sans
secousses, accomplissant au grand soleil sa large besogne pacifique avec une activité
régulière et continue.
De calmes énergies, tournées vers le travail, avaient succédé à la grosse dépense de
nature nécessitée comme première mise de fonds, dans la constitution du pays indépendant.
En peu d'années, les arts, les sciences, l'industrie, les affaires se développent, s'équilibrent,
forment une rapide circulation morale et matérielle; en même temps l’armée s'organise,
l'administration se raffermit, les écoles s'ouvrent, un premier chemin de fer rapproche
les distances : et bientôt, la sécurité grandissant, les centres industriels prennent une
extension plus vaste, le commerce bénéficie de gains plus assurés, l'épargne amasse sans
danger des capitaux : cest une floraison universelle de toutes les aptitudes qui ont pour
objet la richesse, le bien-être, le train normal de la vie plutôt que la gloire et ses
aventures.
Toute proportion gardée, la Belgique est, à cette heure, de toutes les nations la mieux
nantie de lignes ferrées : elle a des entrepôts, des canaux nombreux, d'excellentes routes,
un grand port marchand, Anvers, et un autre, Ostende, en attendant Bruxelles et Bruges ;
deux fleuves, la Meuse et l’Escaut, coupés de nombreux dérivatifs, le premier superbe,
coulant à pleins bords dans l'entonnoir des montagnes, le second remué par les houles
marines, entre des digues chaque jour immergées par le reflux, vaste, bruyant et formant |