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30 LA BELGIQUE.
et, taillée à merci, vidée par les coupes sombres, amputée de ses bras, elle s'était reprise
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à vivre d'un souffle précaire contre vents et marées.
Tout à coup cette date : 1815, sonne à la grande horloge, et de nouveau la chevauchée
des armées recommence. Une prodigieuse avalanche d’Anglais, de Prussiens, de Hollandais
s'abat sur la Belgique, obscursissant de ses lourdes masses noires le soleil d'Austerlitz
décliné à l'horizon. L'avalanche se disperse bientôt, il est vrai; mais à peine la poussière
des légions en marche s'est-elle dissoute dans le ciel pacifié, où l'aigle napoléonien a cessé
d'agiter ses ailes, que la terre tremble encore une fois, et une nouvelle trombe humaine
emplit le pays de ses tourbillonnements affolés, tandis que, rapide comme les boulets de
canon qui ont porté le nom français aux quatre vents de l'espace, l'empereur fantôme,
émergeant de lombre, pousse en avant ses bataillons pour une partie décisive. Alors c'es]
une tourmente plus effroyable. que toutes celles qu'on a vues : les artilleries erachent la
mitraille dans l'atmosphère changée en fournaise; les lugubres plaines de Waterloo,
pareilles à des charniers, boivent des fleuves de sang. Cette fois, l’homme du destin est
bien terrassé. Et, comme après l'écoulement d'un torrent, le silence succède aux tonnerres
des mêlées dans le pays belge qui se détache de la France et passe à la Hollande sous
la loi de Guillaume.
Cependant lunion n'est qu'à la surface ; des germes de mécontentement sengendrent de
la prédilection trop peu dissimulée du prince pour ses villes bataves : bientôt la contrainte
générale éclate sous la pression des impôts, la prédominance officielle de la langue
néerlandaise dans l'administration, les privilèges accordés aux Hollandais de préférence aux
aborigènes, laccaparement par le gouvernement du monopole de l'enseignement, mille vexations
grandissantes qui amènent enfin les grandes journées de 1830, desquelles sortit la Belgique
indépendante et libre.
Des extrémités du pays, des hameaux aussi bien que des villes, et de la plaine et de la
montagne accourent alors des hommes au cœur vaillant et à la tête chaude ; sans avoir
besoin de se concerter, mais résolus à vaincre ou à périr, ayant pour arme la plus sûre leur
foi dans la patrie, ils marchent, soldats éprouvés qui la veille labouraient la glèbe natale
ou maniaient l'outil professionnel, au-devant des bataillons aguerris, el, cent contre un,
à la baïonnette, à la hache et au sabre, font ployer les lignes ennemies ou payent de
leur vie leur héroisme, derrière les barricades où les grenadiers les exterminent.
Rien n’est comparable à cet élan d'un peuple qui rompt ses chaines, se souvenant
des lions qu'il y à partout dans ses trophées : les femmes et les enfants chargeaient les
fusils dans les rues: les vieillards épaulaient en chancelant : bourgeois et ouvriers se touchaient
lraternellement le coude aux postes périlleux ; chaque maison, défendue de la cave au
grenier, avec ses volets entre-clos - d'où partaient les balles et ses lucarnes béantes
vomissant sur l'ennemi les meubles, les ustensiles, les briques arrachées aux murailles.
étaient un rempart imprenable derrière lequel toute une cité combattait. Et telle était la
surexcitation générale que chacun, avec une insouciance absolue du danger, faisait des
prodiges de valeur : des citoyens s’en allaient, par petites bandes, combattre les avant-postes,
et d'autres Organisaient des expéditions nocturnes, isolés ceux-ci et ceux-là en rase
ampagne, loin des portes de la ville. On partait pour la mort comme pour une partie
de plaisir, et. unis dans une commune pensée, sans ressouvenance des divisions anciennes,
Wallons et Flamands harcelaient, Canardaient, décimaient les blonds soldats de la maison
d'Orange.
Au milieu des Caractères tranchés de ces. hommes Venus de toutes les provinces, ‘Ja |