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INTRODUCTION. IX
vail que de génie. C'était, en médisant, faire l’éloge du grand
orateur. Faute de perfectionner par l'étude les dons de la nature,
soit paresse et insouciance, soit adoration de soi-même, plus
d’un homme de génie est resté au-dessous de ce qu'il pouvait
être. Démade, de matelot devenu orateur et homme politique,
enchantait ses contemporains par une verve brillante, des sail-
lies incomparables. Que reste-t-il de lui? un faible écho des
applaudissements du Pnyx. Démosthène aussi savait improyviser,
quand il le fallait (Plutarque en a cité plusieurs exemples); et,
tout préparé qu'il était d'ordinaire, il se laissait entrainer par le
moment, par l'émotion qu'il ressentait, par celle qu'il faisait
ressentir à la foule et qui réagissait sur lui. Sa parole était bien
plus hardie que son style, il paraissait transporté et comme ivre.
Eschine tourne en ridicule ces éclats passionnés : 1l cite des mots
auxquels rien ne répond dans les discours écrits, fait des criti-
ques qui nous étonnent'. Sans doute Eschine exagère et in-
vente, pour mieux railler; mais nous ne lisons pas les harangues
de Démosthène telles qu'il les a prononcées : l’orateur savait
trop bien qu'il faut parler autrement à un auditeur, autrement
à un lecteur. Et cependant quelle ardeur vit encore dans les
pages qu'il a laissées! comme ces vives interrogations, ces tour-
nures imprévues, ces périodes à la fois savantes et naturelles,
semblent appeler le ton de la voix et le geste oratoire! On
dirait que l’action a laissé je ne sais quelle empreinte invisible
sur cette éloquence pleine de vie après plus de vingt siècles.
Mais nous n’en sommes pas encore là. D'abord 1l fallait vivre,
et Démosthène, nous l’avons dit, commenca par écrire pour
les plaideurs?, ce qui était, du reste, une excellente préparation
à l’éloquence politique. Il apprit ainsi à connaître les lois de son
pays ; il s’habituait à prendre un adversaire corps à corps et à
l’enserrer dans les raisonnements d’une logique vigoureuse ;
4. Eschine, Contre Ctésiphon, $ 166. doyers de Demosthène, Paris, 1862. Victor
Cf. Démétrius de Phalère et Ératosthène Cucheval, Étude sur les tribunaux athé-
dans Plutarque, Démosthène, 9. niens et les plaidoyers civils de Démo-
2. Voir Albert Desjardins, Les plai- sthène, Paris, 1863.
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